Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/149

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de ceux qui l’ont chéri ici-bas. Oublié ! oh ! si l’on pouvait fouiller à leur source les bonnes actions des créatures humaines, combien la mort elle-même paraîtrait belle ! et comme on trouverait que la charité, la mansuétude, la pure affection ont pris souvent naissance dans la poussière des tombes !

— Oui, dit Nelly, c’est la vérité ; je le sais. Qui peut mieux que moi en reconnaître la force, moi pour qui votre petit écolier est toujours vivant ! … Cher, cher bon ami, si vous saviez tout le bien que vous me faites ! »

Le pauvre maître d’école se pencha vers elle sans rien répondre, car son cœur était plein.

Ils étaient encore assis au même endroit quand le grand-père arriva. Avant qu’ils eussent pu échanger une parole, l’horloge de l’église sonna l’heure de la classe, et le maître d’école se retira.

« Un brave homme, dit le grand-père le suivant des yeux ; un excellent homme. Sûrement ce n’est pas lui qui nous fera jamais du mal. Nous sommes en sûreté ici enfin, n’est-ce pas ? Nous ne nous en irons jamais d’ici ? »

L’enfant inclina la tête et sourit.

« Elle a besoin de repos, reprit le vieillard en lui caressant la joue. Trop pâle ! trop pâle ! Elle n’est plus ce qu’elle était…

— Quand ? demanda Nelly.

— Ah ! oui… quand ? Combien y a-t-il de semaines ? Pourrais-je les compter sur mes doigts ? … Mais il vaut mieux les oublier ; heureusement elles sont passées.

— Heureusement, cher grand-papa, répondit l’enfant. Oui, nous les oublierons ; oui, si jamais elles reviennent à notre souvenir, ce sera seulement comme un mauvais rêve qui se sera évanoui.

— Chut ! dit le vieillard la poussant vivement avec sa main et regardant par-dessus son épaule. Ne parle plus de ce rêve ni de toutes les souffrances qu’il a causées. Ici il n’y a pas de rêves. C’est un lieu paisible ; les rêves se sont éloignés. N’y pensons jamais, de peur qu’ils ne reviennent nous poursuivre. Les yeux fatigués et les joues creuses, la pluie, le froid et la faim, et avant cela des horreurs pires encore, voilà ce qu’il nous faut oublier si nous voulons vivre tranquilles ici.

— Merci, ô mon Dieu ! s’écria intérieurement Nelly, pour cet heureux changement !