Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/279

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« Le plus jeune s’en aperçut le premier, à diverses circonstances qui éveillèrent son attention et sa vigilance. Je ne vous dirai pas quelle douleur il éprouva, à quelle agonie son âme fut en proie, quelle lutte il eut à soutenir contre lui-même. Il avait eu une enfance maladive. Son frère, plein de patience et d’égards au sein de sa belle santé et de sa force, s’était bien souvent sevré des plaisirs qu’il aimait pour rester assis au chevet du malade, lui racontant de vieilles histoires jusqu’à ce que son visage pâle s’illuminât d’un éclat extraordinaire ; ou pour le porter dans ses bras jusqu’à quelque lieu champêtre où il veillait sur le pauvre et triste enfant, pendant qu’il jouissait là d’une brillante journée d’été et du spectacle de la santé, partout dans la nature alentour, excepté en lui-même ; en un mot, pour lui servir de tendre et fidèle garde-malade. Je ne m’étendrai pas sur tout ce qu’il fit pour conquérir l’amour de la pauvre et faible créature ; car mon histoire n’aurait pas de fin. Mais quand arriva le temps de la rivalité, le cœur du plus jeune frère se remplit du souvenir de ces jours d’autrefois. Le ciel lui donna la force d’acquitter, par les sacrifices réfléchis d’une âme déjà mûrie par les années, les soins donnés par un élan de dévouement juvénile. Il ne troubla point le bonheur de son frère. La vérité ne s’échappa jamais de ses lèvres ; il quitta son pays, avec l’espoir de mourir à l’étranger.

Le frère aîné épousa cette femme… qui depuis longtemps est dans le ciel et légua une fille à son mari.

« Si vous avez vu quelque galerie de portraits d’une ancienne famille, vous aurez dû remarquer combien de fois la même physionomie, la même figure, souvent la plus belle et la plus simple de toutes, se perpétue à vos yeux dans diverses générations, et comme vous pouvez suivre à la trace la même douce jeune fille à travers toute une longue ligne de portraits, ne vieillissant jamais, ne changeant jamais, comme le bon ange de la famille, toujours là pour assister les siens à l’heure des épreuves, peut-être pour les racheter de leurs fautes…

« Dans cette fille revivait la mère. Vous pouvez juger avec quel amour celui qui avait perdu la mère presque en l’obtenant s’attacha à cette enfant, sa vivante image. Elle grandit ; elle devint femme, elle donna son cœur à un homme qui n’en était pas digne. Eh bien ! son tendre père ne put la voir s’affliger et languir dans la peine. Il se dit que peut-être, après tout, cet