Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/304

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Durant plusieurs heures on eut peu d’espoir de le ramener à la vie ; mais la douleur a la vie dure, et le vieillard revint à lui.

S’il existait quelqu’un qui n’eût jamais connu le vide affreux qui suit la mort, ni le sentiment de désolation qui s’appesantit sur les esprits les plus forts, lorsqu’ils sentent à chaque instant qu’il leur manque un être précieux et chéri ; ni le lien étroit qui s’établit entre les choses inanimées, les objets les plus insensibles et l’idole de leurs souvenirs, alors qu’il n’est pas un meuble dans la maison qui ne devienne un monument sacré, pas une chambre qui ne soit un tombeau ; s’il existait quelqu’un qui ne connût pas cela et ne l’eût point éprouvé par sa propre expérience, celui-là aurait peine à comprendre comment, pendant de longs jours, le vieillard languissant usa le temps à errer çà et là comme une âme en peine, cherchant toujours quelque chose sans jamais trouver le repos.

Tout ce qu’il avait conservé de pensée et de mémoire était concentré sur elle. Jamais il ne reconnut ou ne parut reconnaître son frère. La tendresse, les soins le laissaient indifférent. Si on lui parlait de tel sujet ou de tel autre, sauf un seul, il écoutait quelques moments avec patience, puis il se dépêchait d’aller recommencer sa recherche.

Quant au sujet qui était dans sa pensée comme dans celle de tout le monde, il était impossible de l’aborder. Morte ! Il ne pouvait ni entendre ni supporter ce mot. La moindre allusion à cet égard l’eût jeté dans un accès semblable à celui où il était tombé la première fois. Nul ne pourrait dire dans quelle espérance il supportait la vie : mais qu’il eût quelque espérance de retrouver Nelly, une espérance vague et obscure qui chaque jour fuyait devant lui, et qui de jour en jour lui rendait le cœur plus malade et plus accablé, personne n’en pouvait douter.

Ses amis décidèrent qu’il conviendrait de l’éloigner du théâtre de ce dernier malheur ; d’essayer si un changement de lieu le tirerait de cet état de stupeur et de chagrin. Son frère consulta sur ce point les maîtres les plus habiles de la science ; Ils vinrent et examinèrent le vieillard. Plusieurs restèrent à causer avec lui quand il voulait bien causer, et à suivre ses mouvements tandis qu’il marchait seul et silencieux.

« En quelque endroit qu’on le conduise, dirent-ils, il cherchera toujours à revenir ici. Son esprit n’en sortira pas. On