Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/44

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L’orateur se laissa tomber tout de son long par terre et appliqua vivement et violemment un ou deux coups de talon comme pour achever de témoigner de son honnête indignation. Il était évident qu’ils agissaient, lui en matamore, et son ami en conciliateur, dans quelque dessein particulier : il n’y avait que le faible vieillard qui pût s’y méprendre ; car ils échangeaient presque ouvertement des clins d’œil tantôt de l’un à l’autre, tantôt avec le camarade accroupi, qui, en découvrant ses dents blanches, faisait une grimace d’approbation.

Le vieillard resta quelque temps tout abattu au milieu d’eux, puis il dit en se tournant vers celui qui l’avait maltraité :

« Vous-même, vous parliez de jeux où l’on dépouille les gens, vous le savez bien. Ne soyez donc pas si violent avec moi. N’avez-vous pas dit cela ?

— Je n’ai pas dit que ce fût dans cette compagnie ! C’est l’honneur… l’honneur qui fait tout entre gentlemen, monsieur ! répliqua le gros homme qui sembla se retenir pour ne pas donner à sa phrase une conclusion plus rude.

— Jowl, ne le traitez pas trop durement, dit Isaac List. Il regrette, j’en suis sûr, de nous avoir offensés. Allons, brave homme, continuez ce que vous disiez, continuez.

— Il faut que je sois bête et doux comme un agneau, s’écria M. Jowl, de perdre le temps, à mon âge, à donner des conseils quand je sais qu’ils seront mal reçus, et que je n’en retirerai que des injures pour la peine. Mais je n’en fais pas d’autres depuis que je suis au monde. L’expérience aurait pourtant bien dû refroidir ces élans de mon bon cœur.

— Je vous répète, dit Isaac List, qu’il regrette ce qui s’est passé et qu’il désire que vous continuiez.

— Est-ce bien vrai ? demanda l’autre.

— Oui, grommela le vieillard en s’asseyant et se balançant à droite et à gauche, continuez, continuez ! à quoi servirait-il de vous contrarier là-dessus ? Continuez.

— Je reprends donc, dit Jowl, où j’en étais quand vous vous êtes levé si brusquement. Si vous êtes persuadé que le temps est venu où la chance doit tourner, et ce n’est que trop sûr ; et si vous trouvez que vous ne possédez pas les moyens suffisants pour la tenter, au moins pour un coup, car vous savez bien que vous n’aurez jamais les fonds nécessaires pour tenir toute une soirée, que n’acceptez-vous l’occasion qui semble tout exprès