Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/64

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tres hommes ici sont tous en action, et vous seul vous êtes si tranquille ! …

— Ils me laissent à moi-même, répondit-il. Ils connaissent mon caractère. Parfois ils me plaisantent, mais ils ne me tourmentent pas à cet égard. Voyez-vous là-haut, voilà mon ami à moi.

— Le feu ? dit l’enfant.

— Il a vécu autant que moi. Nous parlons, nous pensons ensemble durant toute la nuit. »

L’enfant le regarda vivement avec surprise ; mais l’homme avait tourné les yeux dans leur direction première, et repris sa méditation.

« C’est mon livre, le seul livre où j’aie jamais lu ; il me raconte plus d’une vieille histoire. C’est ma musique, car je reconnaîtrais sa voix entre mille, quoiqu’il y ait bien des voix diverses dans son rugissement. Il a aussi ses tableaux variés. Vous ne pouvez savoir combien de dessins étranges, combien de scènes différentes je me retrace dans les charbons tout rouges. Ce feu, c’est ma mémoire, j’y trouve toute ma vie. »

Penchée en avant pour le mieux écouter, Nelly ne put s’empêcher de remarquer combien, tandis qu’il parlait et méditait, ses yeux avaient d’animation.

« Oui, reprit-il avec un sourire plein de douceur, ce feu était le même quand je n’étais encore qu’un tout petit enfant, et je rampais vers lui jusqu’au moment où je m’endormais. Alors c’était mon père qui le surveillait.

— N’aviez-vous pas de mère ?

— Non, elle était morte. Les femmes travaillent dur dans notre condition. Elle est morte à la peine, à ce qu’on m’a dit, et le feu m’en parle toujours. Je crois bien que c’est vrai. Je n’en ai jamais douté.

— Vous avez donc été élevé ici ?

— Été comme hiver. Secrètement d’abord ; mais quand on le sut, on permit à mon père de m’y garder. Ainsi c’est le feu qui a bercé mon enfance, le même feu. Il n’a jamais cessé.

— Et vous l’aimiez ?

— Naturellement. Mon père est mort devant. Je le vis tomber, juste à cet endroit où ces cendres se consument maintenant, et je me demandais avec étonnement, oh ! je m’en souviens bien, comment le feu n’était pas venu au secours de son vieil ami.