Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dents insensibles aux pleurs et aux supplications de leurs femmes qui s’efforçaient de les retenir, s’élançaient en messagers de terreur et de destruction pour porter partout une destruction qui les consolât de leur propre ruine ; la nuit, quand les corbillards roulaient avec un bruit sourd, tout remplis de misérables bières (car une contagion mortelle avait fait ample moisson de vivants) ; quand les orphelins se lamentaient, et que les femmes éperdues de douleur jetaient des cris perçants et faisaient la veille des morts ; la nuit, quand les uns demandaient du pain et les autres de quoi boire pour noyer leurs peines ; quand les uns avec des larmes, les autres en marchant d’un pas chancelant, d’autres enfin avec les yeux rouges allaient pensant à leur famille ; la nuit qui, bien différente de celle que Dieu envoie sur la terre, n’amenait avec elle ni paix, ni repos, ni doux sommeil ; oh ! qui dira les terreurs dont cette nuit devait accabler la jeune enfant errante ! …

Et cependant elle se coucha sans qu’il y eût d’abri entre elle et le ciel ; et ne craignant rien pour elle-même, car elle était maintenant au-dessus de la peur, elle éleva une prière pour le pauvre vieillard. Toute faible, tout épuisée qu’elle était, elle se sentait si calme et si résignée, qu’elle ne songeait à rien souhaiter pour elle-même ; seulement elle suppliait Dieu de susciter pour lui un ami. Elle s’efforça de se rappeler le chemin qu’ils avaient fait et de découvrir la direction où brûlait le feu auprès duquel ils avaient dormi la nuit précédente. Elle avait oublié de demander son nom au pauvre homme qui s’était fait leur ami ; et, quand elle mêlait l’humble chauffeur à ses prières, il lui semblait qu’il y aurait de l’ingratitude à ne pas tourner un regard vers le lieu où il veillait.

Un pain d’un sou, c’était tout ce qu’ils avaient mangé dans la journée. C’était bien peu de chose assurément, mais la faim elle-même avait disparu pour Nelly au milieu de la tranquillité extraordinaire qui avait saisi tous ses sens. Elle se coucha donc doucement, et, avec un paisible sourire sur les traits, elle s’assoupit. Ce n’était pas tout à fait le sommeil ; ce dut être le sommeil cependant : sinon, pourquoi toute la nuit une suite de rêves agréables lui offrit-elle l’image du petit écolier ? …

Le matin arriva. L’enfant se trouva beaucoup plus faible, beaucoup moins en état de voir et d’entendre, et pourtant elle ne se plaignit pas ; peut-être n’eût-elle articulé aucune plainte,