Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/79

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es raisons, vous ne l’avez pas oublié, pour vous aimer. Depuis ce temps, il m’a semblé que mon amour pour celui qui est mort s’était transporté sur vous qui vous êtes tenue près de son lit. Si, ajouta-t-il en élevant son regard vers le ciel, c’est cette belle âme que j’ai tant pleurée, qui renaît en vous de ses cendres mortelles, puisse sa paix descendre sur moi en retour de ma tendresse et de ma compassion pour le pauvre enfant ! »

La franche et loyale amitié de l’honnête maître d’école, l’affectueuse chaleur de ses paroles et de ses gestes, l’accent de vérité qui animait son langage et son regard, inspirèrent à Nelly une confiance en lui que n’eussent jamais pu faire naître chez elle les plus subtils artifices de tromperie et de dissimulation. Elle lui confessa tout : qu’ils n’avaient ni ami ni parent ; qu’elle avait fui avec le vieillard pour le soustraire à la maison des fous et à toutes les tortures qu’il redoutait ; que maintenant elle fuyait de nouveau pour le sauver de lui-même ; et qu’elle cherchait un asile dans quelque pays écarté, aux mœurs primitives, où jamais ne se produisît la tentation devant laquelle il avait succombé, où les derniers chagrins, les amertumes qu’elle avait ressentis, ne pussent pas revenir l’éprouver encore.

Le maître d’école l’avait écoutée avec une profonde surprise. « Une enfant ! … pensait-il. Une enfant ! et avoir héroïquement persévéré à travers les épreuves et les périls, en butte à la misère et à la souffrance, soutenue qu’elle était seulement par une forte affection et par la conscience du devoir ! … Et cependant le monde est plein de ces traits d’héroïsme : ai-je besoin d’apprendre que les plus rudes comme les plus nobles épreuves sont celles que n’enregistre aucun souvenir humain, et qui sont supportées jour par jour avec une patience infatigable ? Ah ! je ne devrais pas être surpris d’entendre l’histoire de cette enfant ! »

Mais ne nous occupons pas de ce qu’il put penser ou dire. Il fut convenu que Nell et son grand-père accompagneraient le maître d’école jusqu’au village où il était attendu, et que ce dernier tâcherait de leur trouver quelque humble occupation qui pût les faire subsister. « Nous sommes sûrs de réussir, dit gaiement le maître d’école. La cause est trop bonne pour n’être pas gagnée. »

Ils se disposèrent à continuer leur voyage le lendemain soir. Une diligence, qui suivait justement le même chemin, devait