Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/94

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cher monsieur, dit Quilp. Nous avons nos témoins. Ne dites pas non plus qu’il a été expulsé. Il est parti de sa propre volonté, il a disparu dans la nuit, monsieur.

— Qu’importe ! s’écria le gentleman avec emportement. Il était parti.

— Oui, il était parti, dit Quilp toujours avec son calme révoltant. Nul doute qu’il ne fût parti. La seule question, c’était de savoir pour quel endroit. Et c’est encore une question.

— Maintenant, dit le gentleman en le regardant d’un air sévère, que dois-je penser de vous qui, n’ayant voulu me donner aucun renseignement, bien plus, ayant su vous retourner si bien et vous abriter sous toutes sortes de ruses, de tromperies et de paroles évasives, venez aujourd’hui épier nos pas ?

— Moi, vous épier ! cria Quilp.

— Ne le faites-vous pas ? répliqua le gentleman arrivé au plus haut point d’exaspération. N’étiez-vous pas, il y a quelques heures, à soixante milles d’ici, dans la chapelle où cette bonne femme a l’habitude de dire ses prières ?

— Elle y était aussi, je pense, dit Quilp qui avait repris son sang-froid accoutumé. Je pourrais dire, moi, si je me laissais emporter aussi, que c’est vous qui épiez mes pas. Oui, j’étais dans la chapelle. Eh bien, après ? J’ai lu dans les livres qu’il est d’usage pour les pèlerins d’aller à une chapelle avant de se mettre en voyage pour solliciter du ciel un heureux retour. Et cela fait honneur à leur sagesse ! Les voyages sont trop périlleux, principalement sur l’impériale. Les roues se détachent, les chevaux prennent le mors aux dents, les conducteurs mènent trop vite, les diligences versent. Je vais toujours à la chapelle avant de me mettre en route. En pareille occasion, c’est toujours par là que je finis mes préparatifs ; voilà la vérité. »

Il ne fallait pas une grande pénétration pour deviner que Quilp mentait de gaieté de cœur, quoique l’expression qu’il donnait à son visage, à sa voix et à ses gestes, eût pu faire croire à quelque innocent qu’il était prêt à défendre la vérité au péril de sa vie avec la fermeté calme d’un martyr.

« En vérité, il y a de quoi faire tourner la tête, dit le malheureux gentleman ; voyons, dites-moi, n’avez-vous pas, pour un motif particulier, cherché à deviner mes projets ? Ne savez-vous pas quel but m’attirait ici, et, si vous le savez, ne pouvez-vous pas me fournir quelque lumière ?