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NICOLAS NICKLEBY.

faisait valoir à gros intérêts un mince capital de crayons et de billes, et ses opérations finirent par embrasser la monnaie de cuivre de la jeune république. Il n’embarrassait pas ses emprunteurs de stériles calculs de chiffres, et ne les renvoyait point à Barême ; sa simple règle d’intérêt était comprise tout entière dans cette sentence dorée : Quatre sous pour un sou ! ce qui simplifiait extraordinairement les comptes. Cette sentence, considérée comme précepte usuel, bien plus facile à retenir qu’aucune règle connue d’arithmétique, ne saurait être trop fortement recommandée à l’attention des capitalistes, grands et petits, et notamment des prêteurs sur gages et escompteurs. Il est vrai de dire, pour rendre justice à ces messieurs, que la plupart d’entre eux ont l’habitude de la mettre en usage avec un remarquable succès.

À la mort de son père, Ralph Nickleby, qui, peu de temps auparavant, avait été placé dans une maison de commerce de Londres, poursuivit avec rage son projet favori, celui de gagner de l’argent. Ce soin l’absorba bientôt à tel point que, pendant longues années, il oublia complètement son frère pour ne songer qu’à prêter sur gages, agioter, et créer des sociétés en commandite.

Quant à Nicolas, il vécut solitaire de son revenu patrimonial, jusqu’à ce que, las de son isolement, il épousât la fille d’un propriétaire du voisinage, avec une dot de mille livres sterling. La bonne dame lui donna deux enfants, un fils et une fille, et lorsque le fils eut près de dix-neuf ans, et la fille quatorze ou environ, M. Nickleby avisa aux moyens d’augmenter son avoir, malheureusement écorné par l’accroissement de sa famille et les dépenses de l’éducation de ses enfants.

— Spéculez avec vos fonds, dit madame Nickleby. — Spéc…u…ler, ma chère ? dit M. Nickleby avec hésitation. — Pourquoi pas ? demanda madame Nickleby. — Parce que, si nous les perdions, nous ne pourrions plus vivre, ma chère. — Bah ! dit madame Nickleby. — C’est bien chanceux, ma chère, dit M. Nickleby. — Voilà Nicolas grand garçon, poursuivit la dame ; il est temps qu’il songe à se tirer d’affaire lui-même ; et Catherine aussi, la pauvre fille, sans un sou vaillant dans le monde. Songez à votre frère ; serait-il ce qu’il est s’il n’avait spéculé ? — C’est vrai, repartit M. Nickleby, oui… je spéculerai, ma chère.

Les chances furent défavorables à M. Nickleby, il y eut des bouleversements inattendus ; quatre agents de change disparurent ; quatre cents personnes furent ruinées, et entre autres M. Nickleby.

— La maison que j’habite, dit en soupirant le pauvre homme, peut m’être enlevée demain. Mon vieux mobilier sera vendu pièce à pièce à des étrangers !