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NICOLAS NICKLEBY.

pistolet vous échappe des mains, vous êtes abattu ; vous fondez en larmes, et vous devenez un modèle de vertu pour le reste de vos jours. — Sublime ! dit Lenville, c’est d’un effet certain. Que la toile baisse sur une scène de sentiment comme celle-là, et ce sera un succès colossal. — Avez-vous quelque bon rôle pour moi ? demanda M. Folair avec inquiétude. — Attendez, dit Nicolas. Vous jouez le serviteur fidèle, vous êtes mis à la porte avec la femme et l’enfant. — Toujours accouplé avec cet infernal phénomène, dit en soupirant M. Folair ! et nous allons loger dans un taudis où je ne reçois point de gages, et où je fais des phrases sentimentales ! — Mais, oui, répondit Nicolas ; c’est ainsi que marche l’action. — Il me faut une danse quelconque, vous savez ; vous aurez à en introduire une pour le phénomène ; ainsi je vous conseille d’en faire un pas de deux pour épargner le temps. — Rien n’est plus facile, dit M. Lenville remarquant les regards troublés du jeune dramaturge. — Je n’en vois pas le moyen, reprit Nicolas.

— Il est évident, dit M. Lenville ; vous m’étonnez ! vous établissez la dame au désespoir, le petit enfant et le serviteur fidèle dans leur pauvre domicile ! eh bien ! voyez un peu : n’est-ce pas comme il faut, Tommy ?

— Oui, répondit M. Folair. La dame au désespoir, accablée de vieux souvenirs, s’évanouit à la fin de la danse, et vous terminez par un tableau.

Nicolas profita de ces leçons et autres semblables, qui étaient le résultat de l’expérience personnelle des deux acteurs, et quand il se fut enfin débarrassé d’eux, il se mit courageusement à la besogne. Pendant une semaine entière, il vit peu ses nouveaux collégues ; la pièce fut lue aux acteurs le lundi, comme le directeur l’avait désiré ; elle fut trouvée admirable, et M. Crummles l’annonça pour le samedi suivant, au bénéfice de miss Snevellicci.

Dès le matin du grand jour, le crieur alla proclamer à son de cloche dans toutes les places les plaisirs de la soirée. Des programmes de trois pieds de long sur neuf pouces de large furent dispersés dans toutes les directions, jetés par les soupiraux de toutes les cuisines, attachés à tous les marteaux de porte, développés dans toutes les boutiques ; on les placarda encore sur tous les murs, quoique avec peu de succès, car une personne illettrée s’étant chargée de ce soin, par indisposition de l’afficheur ordinaire, une partie des affiches fut collée à l’envers et le reste le haut en bas.

À cinq heures et demie il y avait quatre personnes à la queue ; à six heures moins un quart il y en avait une douzaine ; à six heures la presse était terrible, et quand l’aîné des fils Crummles ouvrit la porte, il fut obligé de se réfugier derrière