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NICOLAS NICKLEBY.

— Eh bien ! dit Ralph assez rudement, mais d’un ton plus doux que celui qu’il prenait avec tout autre, eh bien ! ma chère, que me voulez-vous ?

Catherine leva des yeux remplis de larmes, fit un effort pour maîtriser son émotion, essaya inutilement de parler, baissa la tête et demeura silencieuse ; mais Ralph put s’apercevoir qu’elle pleurait. Il la regarda quelque temps en silence, et fut un moment déconcerté par la douleur de sa nièce.

— Je devine la cause de ces larmes, pensa-t-il, eh bien ! où est le mal ? Un peu de peine seulement, et ce sera une excellente leçon pour elle. — Voyons, Catherine, qu’avez-vous ?

Il s’était assis en face d’elle ; il fut surpris de la fermeté soudaine avec laquelle elle lui répondit.

— Le sujet qui m’amène à vous, Monsieur, est de nature à vous faire monter le sang au visage, si je juge de vos émotions par les miennes. J’ai été offensée, insultée, blessée, et tout cela par vos amis. — Mes amis ! s’écria sèchement Ralph. Je n’ai point d’amis, jeune fille. — Par les gens que j’ai vus ici, reprit vivement Catherine. Si ce n’étaient point vos amis, et si vous saviez ce qu’ils étaient, il n’en est que plus mal à vous, mon oncle, de m’avoir amenée parmi eux. Il eut été pardonnable peut-être de m’exposer à leurs outrages par une confiance mal placée ou par une fausse opinion de leur caractère : mais, si, comme je le crois, vous avez agi avec connaissance de cause, c’est une lâcheté et une barbarie.

Ralph recula stupéfait de cette franchise, et lança à Catherine un de ses plus rudes regards. Mais elle le soutint fièrement, et son visage, quoique très-pâle, avait plus de noblesse et de beauté que jamais. L’éclair de ses yeux rappela à Ralph ceux de Nicolas à leur dernière entrevue.

— Il y a en vous un peu du sang de votre frère, à ce que je vois. — Je l’espère, mon oncle, et j’en serais fière. Je suis jeune, et les embarras de ma situation m’ont abattue ; mais aujourd’hui je me sens ranimée par la souffrance, et, quoi qu’il arrive, la fille de votre frère ne supportera pas plus longtemps ces insultes. — Quelles insultes ? demanda Ralph brusquement. — Rappelez-vous ce qui s’est passé ici et interrogez-vous vous-même, répondit Catherine en rougissant. Mon oncle, vous devez et vous voulez, j’en suis sûre, me débarrasser de la dégradante société à laquelle je suis exposée maintenant. Mon intention, continua-t-elle en s’avançant vers le vieillard et en lui posant le bras sur l’épaule, n’est pas de montrer de la colère ; je vous demande pardon si je vous ai paru emportée, mon cher oncle, mais vous ne savez pas ce que j’ai souffert. Vous ne pouvez savoir ce que c’est que le cœur d’une