Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/165

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
NICOLAS NICKLEBY.

commis ou d’un secrétaire, et il s’imaginait que le vieux gentleman devait deviner sa pensée.

Quoique ces choses soient longues à raconter, elles ne durèrent que quelques minutes. Comme l’étranger se retirait, ses yeux rencontrèrent encore ceux de Nicolas, et celui-ci, pris sur le fait, balbutia une excuse.

— Il n’y a pas de mal ; oh ! il n’y a pas de mal ! dit le vieillard.

Ces mots furent prononcés avec tant de cordialité, le son de voix était si bien celui qu’on pouvait attendre d’un pareil homme, et il y avait tant d’affabilité dans ses manières, que Nicolas s’enhardit à poursuivre.

— Voici bien des occasions, Monsieur, dit-il, et il montra en souriant la croisée. — Eh bien ! des gens désireux de trouver de l’emploi y ont souvent songé sérieusement, j’ose le dire, répondit le vieillard. Les pauvres diables, les pauvres diables !

Il continuait sa route en s’exprimant ainsi ; mais, voyant Nicolas sur le point de lui parler de nouveau, il eut la bonté de ralentir sa marche, comme s’il n’eût pas voulu le quitter brusquement. Après un moment de cette hésitation qu’on remarque parfois entre deux passants qui ont échangé un regard d’intelligence, et ne savent s’ils entameront ou non la conversation, Nicolas se trouva aux côtés du vieillard.

— Vous alliez me parler, jeune homme ; que vouliez-vous me dire ? — Simplement que j’ai eu presque l’espérance… je veux dire la pensée… que vous aviez un but en consultant ces annonces. — Ah ! ah ! ah ! ah ! dit le vieillard, se frottant les mains et les manchettes comme s’il les lavait, c’est une pensée bien naturelle en tout cas. J’ai eu d’abord la même idée de vous, sur ma parole. — Si vous avez eu cette idée, du moins, Monsieur, vous n’avez pas été bien loin de la vérité. — Quoi ! s’écria le vieillard en le toisant de la tête aux pieds ; mon Dieu, c’est impossible ; un jeune homme bien né réduit à une pareille nécessité !

Nicolas le salua, lui souhaita le bonjour, et lui tourna les talons.

— Arrêtez ! dit le vieillard, l’attirant dans une rue détournée, où ils pouvaient causer sans être interrompus, expliquez-vous, expliquez-vous. — La bonté qui règne dans votre physionomie et dans vos manières, si différentes de tout ce que j’ai vu, m’a entraîné à un aveu que je n’aurais jamais eu l’idée de faire à aucun autre étranger dans ce vaste désert de Londres. — Dans ce désert ! dit le vieillard en s’animant ; oui, vous avez raison, c’est un désert ; c’en a été un pour moi autrefois. Je suis venu ici pieds nus, je ne l’ai jamais oublié, Dieu merci !

Et il se découvrit le front avec une imposante gravité. Puis il mit la main sur l’épaule de Nicolas, et remonta la rue avec lui.