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Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/188

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NICOLAS NICKLEBY.

Ici, M. Squeers raconta comment, où et quand il avait rattrapé le fugitif.

— Il est clair que la main de la Providence vous a guidé, dit M. Snawley.

Et baissant les yeux d’un air d’humilité, il éleva vers le plafond sa fourchette surmontée d’un morceau de homard.

— La Providence s’est déclarée contre lui, sans doute, répondit M. Squeers en se grattant le nez, on devait s’attendre à ce qui est arrivé. — La dureté de cœur et les mauvaises actions ne prospéreront jamais, dit M. Snawley. — Cela ne s’est jamais vu, reprit Squeers. J’ai été, monsieur Snawley, le bienfaiteur de ce drôle ; je l’ai nourri, instruit, habillé. J’ai été son ami classique, commercial, mathématique, philosophique, et trigonométrique. Mon fils, mon fils unique, Wackford, a été son frère. Madame Squeers a été sa mère, sa grand’mère, sa tante, et je pourrais même dire son oncle ; elle n’a jamais eu de soins pour personne autant que pour lui, si ce n’est pour vos deux charmants enfants. Quelle est ma récompense ? Quel est le fruit de ma bonté ? Le lait de ma bienveillance, si je puis m’exprimer ainsi, tourne et s’en va sous mes yeux ! — Ce n’est que trop vrai, Monsieur, dit madame Snawley. — Où a-t-il vécu pendant tout ce temps ? demanda Snawley. A-t-il demeuré avec ?… — Oui, Monsieur, interrompit Squeers, avez-vous demeuré avec ce diable de Nickleby ?

Mais ni menaces ni coups ne purent arracher à Smike une réponse ; car il avait intérieurement résolu de périr dans la misérable prison où il allait être renfermé, plutôt que de prononcer une syllabe qui compromît son premier et seul ami. Il se rappelait qu’à son départ de Dotheboys, Nicolas lui avait recommandé le plus profond secret sur les événements de sa vie passée ; il s’imaginait vaguement que son bienfaiteur avait commis en l’emmenant un crime épouvantable, qui l’exposerait à quelque grave punition s’il était découvert ; et cette idée contribuait à le jeter dans un état de terreur et d’apathie.

Telles étaient les pensées de Smike, si l’on peut donner ce nom à des visions aussi indéfinies que celles qui erraient dans sa cervelle affaiblie. Elles le rendirent inébranlable à la persuasion et à l’intimidation simultanément employées. Voyant ses efforts inutiles, M. Squeers le conduisit dans une petite chambre de derrière où il devait passer la nuit. L’instituteur prit la précaution de lui enlever ses souliers, son habit et son gilet, et de fermer la porte pour prévenir toute tentative d’évasion ; puis il l’abandonna à ses méditations.

Qui dirait la nature de ces méditations incessantes ? qui dirait combien la pauvre créature eut le cœur ulcéré en songeant à sa demeure, à ses amis, aux figures aima-