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NICOLAS NICKLEBY.

Quand ces marques ironiques de désapprobation eurent cessé, deux ou trois individus se mirent à pousser Nicolas et le jeune homme, à se heurter contre eux comme par accident, et à leur marcher sur les pieds. Mais comme le nombre des joueurs n’était pas limité, John Browdie s’élança dans la mêlée, à la grande terreur de sa femme, manœuvra vigoureusement à droite et à gauche, en avant et en arrière, enfonça le chapeau du valet qui avait montré le plus d’animosité, et changea promptement la face du combat.

La plupart des assaillants s’écartèrent à une distance respectueuse, et celui qui avait reçu les pantoufles à la tête sortit de la retraite où il avait été confiné par un coup de poing, et se releva, non pour se mettre au niveau de son premier adversaire, mais de peur que John Browdie lui marchât sur le corps par inadvertance.

— Que je le voie recommencer, dit-il ; que je le voie !… — Que je vous entende encore tenir ces propos, repartit le jeune homme, et je vous ferai rouler au milieu des bouteilles qui sont là derrière.

Ici un garçon, qui, enchanté de la scène, s’était frotté les mains tant qu’il ne s’était agi que de coups de poing, conjura avec instance les deux assistants d’aller chercher la garde, déclarant qu’autrement il allait se commettre un meurtre, et qu’il était responsable des verres et de la porcelaine placés dans le couloir.

— Il est inutile de vous déranger, dit le jeune homme ; je passe la nuit ici, et l’on m’y trouvera demain matin si l’on veut me demander compte de ma conduite. — Pourquoi l’avez-vous frappé ? demanda l’un des assistants. — Oui, pourquoi l’avez-vous frappé ? répétèrent les autres.

Le jeune homme impopulaire regarda froidement l’assemblée, et s’adressant à Nicolas :

— Vous me demandiez tout à l’heure, dit-il, ce qui s’était passé ; j’arrive de voyage, et j’ai mieux aimé passer la nuit ici que d’aller ce soir à mon domicile, où l’on ne m’attend que demain. Étant venu pour une demi-heure au café avant de me coucher, j’entendis cet individu, attablé avec un de ses amis, tenir les propos les plus inconvenants et les plus insolemment familiers sur une jeune personne que je reconnus à certains détails, et que j’ai l’honneur de connaître. Comme il parlait assez haut pour attirer l’attention des assistants, je lui dis qu’il se trompait dans ses conjectures injurieuses, et le priai de cesser. Il le fit ; mais comme il recommença de plus belle en quittant la salle, je ne pus m’empêcher de le suivre, et de favoriser sa sortie par un coup de pied qui le mit dans la position où vous l’avez vu. Je sais mieux que personne ce que j’ai à faire, ajouta le jeune homme encore échauffé, et