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NICOLAS NICKLEBY.

Newman ne répondit point à ce compliment ; mais en arrangeant le collet du pardessus, il regarda Ralph et parut fortement tenté de lui tirer les oreilles. Toutefois, ses yeux ayant rencontré ceux de Ralph, il modéra l’ardeur de ses doigts errants. Ralph lui lança un coup d’œil, lui recommanda de la vigilance, et sortit.

En relation avec des gens de toutes les classes, il fit des visites chez les riches comme chez les pauvres. Toutes avaient le même objet, l’argent. Sa figure était un talisman qui le faisait respecter des portiers et des domestiques de ses plus fastueux clients ; on s’empressait de l’admettre, lui qui allait à pied, tandis qu’on refusait la porte à des gens en équipage. Avec les grands, il était d’une douceur moelleuse et d’une civilité rampante : ses pas étaient si légers qu’ils produisaient, à peine un son sur les épais tapis ; sa voix était si faible, que celui auquel il s’adressait l’entendait seul. Mais chez les pauvres, Ralph était un autre homme ; il entrait hardiment en faisant craquer ses bottes, il demandait avec éclat et avec rudesse le montant des créances arriérées. Ses menaces étaient brutales et violentes. Ralph changeait, encore de caractère avec une autre classe de pratiques. C’étaient des avoués de réputation plus qu’équivoque, qui lui procuraient de nouvelles affaires, ou lui facilitaient de nouveaux bénéfices sur les anciennes. Avec eux, Ralph était jovial et familier ; il plaisantait sur les événements du jour, et notamment sûr les banqueroutes et les embarras pécuniaires dont son industrie profitait. Bref, il eût été difficile de reconnaître le même homme sous ces différents aspects, sans un portefeuille de cuir qu’il tirait de sa poche à chaque visite, et la répétition constante des mêmes plaintes diversifiées seulement par l’expression.

— Le monde me croit riche, disait-il sans cesse, et je le serais peut-être si tous mes fonds étaient réalisés. Mais une fois que l’argent est dehors, il n’y a pas moyen de le faire rentrer, et l’on a grand’peine à vivre, même au jour le jour.

Vers le soir, Ralph, après avoir pris un léger repas dans un restaurant, se mit en devoir de retourner chez lui. Les plis de son front, et son indifférence pour ce qui l’environnait, témoignaient des profonds desseins auxquels il songeait. Son abstraction était si complète, qu’en dépit de la vivacité ordinaire de son coup d’œil, il n’observa pas qu’il était suivi par une espèce de mendiant, qui tantôt se glissait sans bruit derrière lui, tantôt le précédait de quelques pas, ou se plaçait à son côté. Cet homme regardait Ralph d’un œil si perçant et avec tant d’attention, qu’il avait plutôt l’air d’une des figures étranges d’un rêve saisissant que d’un observateur ordinaire.

Le ciel s’était assombri, et le commencement d’un violent orage força Ralph à