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NICOLAS NICKLEBY.

jours, je suis menacé ou insulté par quelqu’un ; mais je vais toujours mon train, et n’en suis pas plus pauvre. — Je n’insulte ni ne menace, reprit Brooker. Je puis vous faire connaître ce que vous avez perdu par mon fait, ce que moi seul suis à même de vous rendre, ce que vous ne retrouverez jamais, si je meurs sans vous le rendre. — Je vous dis que mes affaires sont en règle, et mon argent soigneusement serré. Je surveille de près les personnes avec lesquelles je trafique, et je vous ai surveillé de plus près que tous les autres ; et si vous m’avez pris quelque chose, je vous autorise à le garder. — Ceux de votre sang vous sont-ils chers ? dit Brooker en accentuant ses paroles ; s’ils le sont… — Ils ne le sont pas ! s’écria Ralph exaspéré de cette persévérance, et chez lequel cette dernière question avait réveillé l’idée de Nicolas. Si vous vous étiez présenté à moi comme un mendiant ordinaire, j’aurais pu vous jeter quelques sous en mémoire de votre qualité d’habile fripon ; mais puisque vous essayez de me rendre la dupe de vos intentions, je ne vous donnerai pas un liard ; et, rappelez-vous, échappé des galères, que si nous nous rencontrons encore, si vous osez vous permettre de me demander l’aumône, ne fût-ce que du geste, vous renouerez connaissance avec la prison, et vous réfléchirez à votre secret dans les intervalles de repos que vous laissera le système pénitentiaire. Voilà ma réponse ; méditez-la.

Après avoir lancé un coup d’œil de dédain à l’objet de sa colère, Ralph s’éloigna sans presser le pas, sans retourner la tête, sans témoigner la moindre curiosité de savoir ce que deviendrait son compagnon. Celui-ci ne répondit pas un mot, suivit des yeux Ralph Nickleby jusqu’à ce qu’il l’eut perdu de vue, ramena ses vêtements sur sa poitrine, comme pour chasser le froid que lui causaient la faim et la pluie, et alla implorer la pitié des passants.

Ralph sortit du parc, et voyant à sa montre que l’heure était avancée, il se rendit chez lui en toute hâte.

— Sont-ils ici ?

Newman fit un signe affirmatif.

— Depuis une demi-heure. — Ils sont deux, dont un très-gras ? — Oui, dans votre chambre. — Bien ; allez-moi chercher un fiacre. — Un fiacre ! quoi vous… eh ? balbutia Newman.

Il avait lieu de s’étonner d’un ordre aussi extraordinaire ; car il n’avait jamais vu Ralph en fiacre. Cependant il exécuta la commission.

M. Squeers, Ralph, et le troisième personnage, que Newman Noggs n’avait jamais vu, entrèrent dans la voiture. Newman s’arrêta à la porte pour les voir partir,