Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
NICOLAS NICKLEBY.

cipal motif du mariage, Arthur Gride l’avait très-obscurément, énoncé, et les fumées du vin avaient empêché Newman de le comprendre.

— Plus le cas est grave, dit Newman, plus il nous faut de sang-froid et de raison. Où sont les deux frères ? — Ils sont absents pour une affaire pressante, et ne reviendront que dans une semaine. — Et leur neveu et le vieux commis ? — Ils ne peuvent rien pour nous. On m’a recommandé envers eux le plus profond silence à ce sujet, et je n’ai pas le droit de trahir la confiance qu’on m’a accordée. Un miracle peut seul empêcher ce monstrueux sacrifice. Le père insiste, la fille consent ; ces démons la tiennent dans leurs filets. La loi, l’argent, la puissance, tout est pour eux. Comment la sauver ? — Espérez, dit Newman en lui frappant sur le dos. Espérez ; remuez ciel et terre, ce sera toujours une consolation pour vous de savoir que vous avez fait tous vos efforts.

Nicolas avait besoin d’encouragement, car cette brusque nouvelle l’avait anéanti ; mais le dévouement sincère que lui témoignait Newman lui rendit un peu de fermeté.

— Vous me donnez une bonne leçon, dit-il, et j’en profiterai, Newman. Il est une démarche que je puis faire et tenter, et je m’en occuperai demain. — Laquelle ? Que prétendez-vous faire ? menacer Ralph ? voir le père ? — Non ; mais la fille, raisonner avec elle de cette odieuse union, lui montrer l’abîme où elle se précipite, la conjurer de s’arrêter. Peut-être n’a-t-elle point de conseiller, et peut-être parviendrai-je à l’impressionner, bien qu’il n’en soit plus temps. — Bravo, bravo ! dit Newman. — Et je le déclare, s’écria Nicolas avec l’enthousiasme d’un honnête homme, ma conduite n’est point dirigée par des considérations personnelles, mais par ma pitié pour elle, par mon horreur pour cet affreux projet ; et j’agirais de même si j’avais vingt rivaux, et que je fusse le moins favorisé de tous. — Je vous crois ; mais où allez-vous, maintenant ? — Chez moi. M’accompagnez-vous ? — Oui si vous marchez ; non, si vous courez. — Je ne puis marcher tranquillement ce soir. Il me faut du mouvement, de l’agitation. Je vous dirai demain ce que j’aurai fait.

Sans attendre une réponse, il s’éloigna d’un pas rapide, et se perdit bientôt dans la foule qui encombrait les rues.

— Il est violent parfois, se dit Newman, et cependant j’aime ses emportements. Je lui ai dit d’espérer ! Il a pour adversaires Ralph et Gride réunis, et il espérerait ! Oh ! oh !

Ce fut par un sourire mélancolique que Newman Noggs termina ce monologue,