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NICOLAS NICKLEBY.

cette lampe si près de lui, qu’il n’y avait entre elle et lui que la place du registre ; et, comme il avait les coudes sur le bureau et les pommettes de ses joues sur ses mains, la clarté ne servait qu’à faire ressortir ses traits hideux, blanchissait une partie du bureau, et laissait tout le reste de la chambre dans une profonde obscurité. En levant les yeux et en regardant dans l’ombre, Arthur rencontra tout à coup le regard d’un homme.

— Au voleur ! au voleur ! s’écria Arthur se levant et serrant son registre contre son sein. — Qu’y a-t-il ? dit l’inconnu. — Retirez-vous ! Êtes-vous un homme, ou ?… — Pour qui me prenez-vous donc ? — Oui, oui, s’écria Arthur ombrageant ses yeux de sa main, c’est un homme, et non un esprit. Au voleur ! au voleur ! — Pourquoi crier ainsi ? vous vous méprenez sur mes intentions, dit l’étranger en se rapprochant. — Alors, comment êtes-vous venu ici ? que voulez-vous ? quel est votre nom ? — Mon nom ? vous n’avez pas besoin de le savoir. C’est votre domestique qui m’a ouvert la porte. Je vous ai adressé deux ou trois fois la parole ; mais vous étiez trop occupé pour m’entendre, et j’ai attendu en silence que vous fussiez moins absorbé. Quant à ce que je veux, je vous le dirai lorsque vous aurez assez de courage pour m’écouter.

Arthur Gride se hasarda à examiner plus attentivement le visiteur, et, remarquant que c’était un jeune homme de bonne mine, il s’assit en murmurant :

— C’est qu’il y a des gens malintentionnés qui rôdent par ici, et qu’on a déjà essayé de me voler ; ce qui me rend craintif. Donnez-vous la peine de vous asseoir.

Nicolas (car c’était lui) refusa, et voyant renaître les alarmes de Gride :

— Mon Dieu ! dit-il, je ne reste pas debout pour avoir sur vous l’avantage de la position. Écoutez-moi. Vous allez vous marier demain matin ? — Non… n… non. Qui vous l’a dit ? comment le savez-vous ? — N’importe, je le sais. La jeune personne qui va vous donner sa main vous hait et vous méprise. Son sang se glace quand on prononce votre nom devant elle. Le vautour et la colombe ne sauraient être plus mal assortis qu’elle et vous. Vous voyez que je la connais. Gride parut pétrifié d’étonnement ; mais il ne parla pas, peut-être par impuissance.

— Vous et un autre, qui s’appelle Ralph Nickleby, avez tramé ce complot. Vous lui donnez un bénéfice dans la vente de Madeleine Bray. Un mensonge erre sur vos lèvres, je le vois.

Il s’arrêta ; mais Arthur ne répondit pas.

— Vous vous promettez de la dépouiller ; comment, par quels moyens, je