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NICOLAS NICKLEBY.

La digne dame parlait elle-même d’une voix qui eût glacé le sang de l’homme le plus robuste.

— Mon fils Nicolas vient de rentrer, ajoutait-elle, et il m’envoie savoir de vos nouvelles. — Il est aujourd’hui en retard, répondait parfois Madeleine. — Eh bien ! je ne m’en serais pas doutée, et je ne sais comment vous faites pour calculer le temps avec une aussi grande précision. M. Nickleby… c’est de votre père que je parle, Catherine… M. Nickleby disait ordinairement que l’appétit était la meilleure horloge du monde ; mais quant à vous, miss Bray, vous n’avez pas d’appétit. Je voudrais vous en voir, et vous devriez faire quelque chose pour vous en procurer. On prétend que deux ou trois douzaines d’huîtres donnent de l’appétit ; mais j’en doute, car il faut déjà avoir de l’appétit pour les manger. Quoi qu’il en soit, je ne sais comment vous êtes parvenue à deviner que Nicolas était en retard d’une demi-heure.

— C’est que nous parlions de lui tout à l’heure, ma mère. — Vous parlez toujours de lui, n’avez-vous rien de plus divertissant à dire à miss Bray ? Comme je le répète sans cesse au docteur, je ne sais vraiment ce qu’elle deviendrait si je n’étais là pour la divertir.

Là-dessus madame Nickleby prenait une chaise et causait d’une foule de sujets jusqu’à l’heure du souper de Nicolas. Après lui avoir annoncé que décidément elle regardait la malade comme plus mal, elle lui racontait que miss Bray était triste et abattue parce que Catherine ne l’entretenait que de lui. Quand elle avait relevé le moral de Nicolas par ces observations consolantes, elle discourait sur les pénibles devoirs qu’elle avait accomplis pendant la journée.

— Ah ! disait-elle émue jusqu’aux larmes, s’il m’arrivait un malheur, je ne sais ce que la famille deviendrait sans moi.

D’autres fois, Nicolas rentrait accompagné de M. Frank Cheeryble. Madame Nickleby soupçonnait avec quelque raison que M. Frank venait plutôt pour voir Catherine que pour demander des nouvelles de Madeleine, et elle employait divers moyens pour s’en assurer. Tantôt elle était affable, tantôt froide et réservée : quelquefois, quand elle était seule avec Frank, elle lui annonçait vaguement l’intention d’envoyer Catherine en France, pour trois ou quatre ans, ou en Écosse, pour rétablir sa santé altérée, ou de lui faire entreprendre tout autre voyage qui les séparerait pour longtemps. Croyant de son devoir de détruire des espérances naissantes, elle alla même jusqu’à faire allusion aux amours de sa fille et du fils d’un de leurs anciens voisins, un certain Horace Peltirogus, jeune homme qui pouvait avoir quatre