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NICOLAS NICKLEBY.

Il n’y avait pas cinq minutes qu’il avait fermé les yeux, quand il fut réveillé par un cri terrible. Il se leva avec cette sorte de terreur qui saisit une personne éveillée en sursaut, et vit, à son grand étonnement, que Smike avait essayé de s’asseoir sur son lit, et que, les yeux presque hors de leurs orbites, le front couvert d’une sueur froide, les membres agités d’un tremblement convulsif, il appelait de toutes ses forces au secours.

— Grand Dieu ! qu’y a-t-il ? s’écria Nicolas. Calmez-vous ; avez-vous rêvé ? — Non, non, non ! dit Smike se cramponnant à lui. Serrez-moi bien, ne me quittez pas. Là… là… derrière l’arbre.

Nicolas suivit la direction des yeux de Smike, mais il ne vit rien.

— C’est une erreur de votre imagination, dit-il en s’efforçant de le rassurer ; il n’y a rien. — Si fait ; je l’ai vu comme je vous vois. Oh ! dites-moi que vous me garderez avec vous ; jurez-moi que vous ne me quitterez pas un instant. — Vous ai-je jamais quitté ? Rassurez-vous ; vous voyez que je suis auprès de vous. Maintenant, dites-moi, qu’avez-vous vu ?

Smike jeta autour de lui des regards de frayeur.

— Vous rappelez-vous, dit-il à voix basse, que je vous ai parlé de l’homme qui me conduisit à la pension ? — Oui, certes. — J’ai levé les yeux juste du côté de cet arbre… celui dont le tronc est si épais. Cet homme était là, il me regardait fixement. — Réfléchissez un instant. En supposant qu’il vive encore et qu’il erre dans un pays aussi éloigné des grandes routes que celui-ci, croyez-vous qu’après un aussi long intervalle vous ayez pu reconnaître cet homme ? — Je l’aurais reconnu partout, sous tous les costumes ; mais tout à l’heure il s’appuyait sur son bâton et me regardait avec cette figure brune et flétrie que je vous ai décrite. Il était poudreux d’un long voyage, et mal habillé. Je crois que ses vêtements étaient en haillons ; mais dès que je l’ai aperçu, cette soirée pluvieuse pendant laquelle il m’amena, la salle où il me laissa, les gens qui s’y trouvaient, tout me sembla reparaître avec lui. Sitôt qu’il m’eut reconnu, il eut l’air effrayé, car il tressaillit et s’éloigna. J’avais pensé à lui le jour, j’avais rêvé à lui la nuit. Tout enfant je l’ai vu souvent dans mes songes, je l’ai revu souvent depuis, et tel que je viens de le voir encore.

Nicolas essaya de convaincre le jeune homme épouvanté que la ressemblance exacte de la création de ses rêves avec l’homme qu’il supposait avoir reconnu était la preuve d’une erreur, mais ses arguments furent inutiles. Quand il l’eut décidé à se confier quelques instants aux soins des maîtres de la ferme, il prit des renseigne-