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NICOLAS NICKLEBY.

le demandais que pour tâcher de détruire, s’il était possible, la cause de vos chagrins. — Je le sais, je l’ai bien senti.

Il attira son ami plus près de lui.

— Vous me pardonnerez, je ne pouvais m’en empêcher ; mais, quoique je fusse mort pour elle, mon cœur saignait de voir… Je sais qu’il l’aime tendrement… oh ! qui pouvait s’en apercevoir mieux que moi ?

Les mots qui suivirent furent prononcés d’une voix faible, et interrompus par de longues pauses ; mais ils apprirent à Nicolas que le mourant aimait Catherine avec toute l’ardeur d’une passion unique, secrète et sans espérance.

Il s’était procuré une boucle de ses cheveux, qui pendait à son cou, pliée dans un ruban qu’elle avait porté. Il pria Nicolas de lui ôter ce précieux objet sitôt qu’il serait mort, afin de le dérober à tous les regards, et de le lui remettre au cou au moment où on le déposerait dans le cercueil.

Nicolas s’y engagea à genoux, et lui promit de nouveau qu’il reposerait dans l’endroit qu’il lui avait désigné ; puis ils s’embrassèrent.

— Maintenant, murmura Smike, je suis heureux.

Il tomba dans un léger assoupissement, et sourit encore en s’éveillant. Il parla de beaux jardins qui s’étendaient devant lui, et qui étaient remplis d’hommes, de femmes et d’enfants dont les visages étaient radieux.

— C’est le ciel, balbutia-t-il, et il mourut.


CHAPITRE XLIX.


Ralph était assis dans la chambre solitaire où il avait coutume de prendre ses repas. Il avait devant lui un déjeuner auquel il n’avait pas touché, et sa montre était négligemment posée sur la table ; l’heure à laquelle il sortait habituellement était passée depuis longtemps, et pourtant il restait la tête dans la main et les yeux baissés vers la terre. Il les leva tout à coup, et regarda précipitamment autour de lui comme un homme qui s’éveille en sursaut et ne reconnaît pas immédiatement le lieu où il se trouve.

— Qu’est-ce donc qui pèse ainsi sur moi ? je ne me suis jamais écouté, et je ne devrais pas être malade. Mais que peut faire un homme qui ne dort pas ? Les nuits se succèdent, et je n’ai point de repos ; les mêmes figures détestées reviennent constamment troubler mon sommeil.