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NICOLAS NICKLEBY.

Le numéro 1 saisit le pot avec rapacité, et il en avait bu juste assez pour lui en faire désirer davantage, quand M. Squeers donna le signal au numéro 2. Celui-ci fut aussi désagréablement interrompu par le numéro 3, et cette manœuvre fut continuée jusqu’à ce que la provision de lait baptisé fut épuisée par le numéro 5.

— Et maintenant, dit le maître d’école partageant le pain et le beurre pour trois personnes en autant de portions qu’il y avait d’enfants, vous ferez bien de vous dépêcher, car le cor va sonner dans quelques minutes, et il faudra partir.

Ayant ainsi obtenu la permission d’assouvir leur faim, les enfants se mirent à manger avec une voracité et une précipitation désespérées pendant que le maître d’école, que son déjeuner mettait d’une humeur excellente, distribuait des sourires à droite et à gauche. Quelques instants après, le cor se fit entendre.

— Je pensais bien que ce ne serait pas long, dit Squeers se levant rapidement et tirant de dessous le banc un petit panier ; mettez là-dedans ce que vous n’avez-pas eu le temps de manger, enfants ! vous en aurez besoin pendant la route. Nicolas était surpris au plus haut degré de ces arrangements économiques, mais il n’eut pas le temps d’y réfléchir, car il fallait hisser les petits garçons sur l’impériale de la diligence, et faire mettre dans le coffre leurs paquets et ceux de M. Squeers ; toutes ces fonctions étaient dans les attributions de Nicolas. Il s’y livrait avec ardeur, quand son oncle l’accosta.

— Oh ! vous voilà, Monsieur, dit Ralph ; voici votre mère et votre sœur. — Où ? s’écria Nicolas promenant aussitôt les yeux autour de lui. — Ici, répondit son oncle ; ayant trop d’argent et pas de moyen de le dépenser, elles payaient une voiture de louage au moment où je suis entré. — Nous craignions d’arriver trop tard pour le voir avant son départ, dit mistress Nickleby ; et elle embrassa son fils, sans s’inquiéter des spectateurs indifférents rassemblés dans la cour des diligences. — Très-bien, Madame, vous êtes maîtresse de vos actions. Je disais simplement que vous payiez une voiture de louage. Je n’ai jamais payé de voiture de louage, Madame, je n’en prends jamais. Il y a trente ans au moins que je ne suis monté dans une voiture de louage à mes frais ; et j’espère n’y pas monter de trente ans encore, si je les vis. — Je ne me serais jamais pardonné de ne pas l’avoir vu, dit madame Nickleby. Pauvre cher enfant ! partir sans déjeuner de peur de nous affliger ! — C’est puissamment beau, assurément, dit Ralph Nickleby d’un ton maussade. Lorsque j’ai commencé les affaires, Madame, je déjeunais tous les matins en allant à la Cité avec un petit pain et deux sous de lait. Qu’en dites-vous, de cela, Madame ! déjeuner ! bah !