Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/323

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
NICOLAS NICKLEBY.

semble, je vous prie de le lui faire savoir. — Et croyez-vous, Catherine, quand vous accomplissez si généreusement ce sacrifice, que je reculerai devant le mien ! — Mais votre position n’est pas la même. — Elle est la même, ma sœur. Madeleine n’est pas moins chère à nos bienfaiteurs qu’une parente. Ils ont en moi une confiance dont je ne saurais profiter ; je lui ai rendu de légers services dont je ne saurais abuser pour la séduire. Mon parti est pris, et dès aujourd’hui j’ouvrirai mon cœur à M. Cheeryble, et le supplierai de prendre des mesures pour donner à Madeleine un autre asile. — Aujourd’hui ! sitôt ! — Pourquoi tarderais-je ? Votre exemple me fait sentir plus vivement mon devoir, et je ne veux pas attendre que mes dispositions actuelles soient affaiblies. — Mais vous pouvez devenir riche. — Je puis devenir riche, mais en vieillissant. En tout cas, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, nous serons toujours les mêmes l’un pour l’autre, et ce sera notre consolation. Nous pourrons n’avoir qu’une maison, et nous ne serons jamais seuls ; l’identité de nos destinées resserrera les nœuds qui nous unissent. Il me semble qu’hier encore nous étions enfants, et que dès demain nous serons vieux. Nous nous rappellerons alors ces chagrins d’amour comme nous nous rappelons aujourd’hui ceux de notre enfance, et nous songerons avec un plaisir mélancolique au temps où ils pouvaient nous troubler. Peut-être alors bénirons-nous les épreuves qui nous auront rendus si chers l’un à l’autre, qui auront fait prendre à notre vie un essor si pur et si paisible. On connaîtra notre histoire, et les jeunes gens viendront chercher auprès de nous de la sympathie, nous confier leurs afflictions, et consulter la bienveillante expérience du vieux garçon et de la vieille fille sa sœur. À ce tableau, Catherine sourit au milieu des pleurs.

— N’ai-je pas raison, Catherine ? dit Nicolas après un moment de silence. — Oui, mon frère, et je ne saurais vous dire combien je m’estime heureuse de votre approbation. — Vous n’avez point de regret ? — Non, non, dit timidement Catherine traçant sur le parquet avec son pied des figures cabalistiques, je n’ai point de regret d’avoir agi comme je le devais ; mon seul regret est que ceci soit arrivé, c’est-à-dire… quelquefois… je ne suis qu’une faible jeune fille, Nicolas.

Certes, si Nicolas eût possédé dix mille livres, il les eût données à l’instant même, sans songer à lui, pour assurer le bonheur de cette charmante créature. Mais tout ce qu’il pouvait faire était de la consoler ; et ses paroles furent si affectueuses, que la pauvre Catherine se jeta à son cou, et lui promit de ne plus pleurer.

— Quel homme ne serait pas fier de posséder un cœur comme celui de Cathe-