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NICOLAS NICKLEBY.

furie. La haine de Ralph pour Nicolas, irritée par le désespoir de la défaite, allait maintenant jusqu’à la frénésie. Quoi ! Nicolas entre tous avait été le protecteur et l’ami du misérable enfant ! Quoi ! il lui avait seul témoigné de la tendresse, et lui avait appris à haïr son père, à maudire le nom de son père ! Quelle pensée intolérable pour l’usurier ! Sans cesse il avait devant les yeux le lit de mort de son fils, et Nicolas le soutenant entre ses bras, et Smike l’accablant de témoignages de reconnaissance, tandis qu’il eût voulu en faire deux ennemis mortels et irréconciliables !

— Ah ! je suis ruiné, je suis perdu ; le misérable m’a dit vrai ! La nuit approche pour moi. N’y a-t-il aucun moyen d’arrêter les suites de leur triomphe, de me dérober à leur compassion ? Aucun démon ne viendra-t-il à mon aide ?

L’image de l’homme enterré dans le cimetière se dressa de nouveau devant lui. Comme la première fois qu’il l’avait vu, le suicidé avait la tête couverte ; c’étaient bien ses pieds de marbre, roides et glacés, il se les rappelait. Ralph revit les parents pâles et tremblants, dont il avait reçu la déposition dans l’enquête ; il entendit les cris des femmes ; il fut témoin de la consternation et de la silencieuse terreur des hommes ; il pensa au triomphe de ce monceau d’argile, qui, d’un mouvement de main, s’était délivré de la vie, et avait causé tant de trouble et d’agitation.

Ralph ne parla plus, mais il sortit doucement de sa chambre, monta dans la chambre du dernier étage sur le devant, et ferma la porte derrière lui.

Il y avait encore dans cette pièce un vieux lit, celui sur lequel son fils avait reposé. Ralph l’évita précipitamment, s’en éloigna autant que possible, et s’assit.

À la lueur des lumières de la rue, prêtes à s’éteindre, on pouvait distinguer dans la chambre divers objets de rebut, de vieux coffres, des ballots entourés de cordes, des meubles brisés. Le plafond était en pente, élevé d’un côté, et de l’autre touchant presque le parquet. Ce fut vers la partie la plus haute que Ralph dirigea ses yeux, et les tint fixés pendant quelques minutes. Puis il se leva, et traînant à cette place une vieille malle, sur laquelle il s’était assis, il monta dessus et tâta le mur au-dessus de sa tête avec ses deux mains. Enfin elles rencontrèrent un grand crochet de fer solidement planté dans une poutre.

En ce moment il fut interrompu par un coup frappé à la porte de la rue. Après un instant d’hésitation, il ouvrit la fenêtre, et demanda qui était là.

— Je demande M. Nickleby ? — Que lui voulez-vous ? — Ce n’est pas là la voix de M. Nickleby !

Ce n’était pas en effet sa voix, mais c’était lui qui parlait, et il le dit.