Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
NICOLAS NICKLEBY.

vous avoir quittée. — Cela ne me fait point plaisir, dit miss Squeers se laissant toutefois à aller à sourire. — Je ne vous crois pas assez méchante pour supposer que vous en êtes bien aise. Ce n’est pas cela. — Ah ! dit miss Squeers, retombant dans sa mélancolie. — Après de vives discussions, après nous être répété cent fois que nous ne nous reverrions plus, nous avons fini par nous entendre, et ce matin, John a fait inscrire nos noms pour la publication des bans ; elle commencera dimanche prochain, et nous nous marierons dans trois semaines ; je viens donc vous avertir qu’il est temps de faire faire votre robe.

Le miel était mélangé dans cette nouvelle. Aussi miss Squeers dit-elle que sa robe serait prête, et qu’elle espérait que Mathilde serait heureuse, quoiqu’elle n’en fût pas sûre, et n’osât trop y compter, car les hommes étaient d’étranges créatures, et beaucoup de malheureuses femmes mariées regrettaient de tout leur cœur les beaux jours de leur célibat. À ces condoléances elle en ajouta d’autres également combinées pour ranimer et réconforter son amie.

— Maintenant, Fanny, dit miss Price, j’ai besoin de vous dire deux mots au sujet du jeune Nickleby. — Il ne m’est rien, interrompit miss Fanny avec des symptômes de vapeurs, je le méprise trop ! — Oh ! vous ne pensez pas ce que vous dites, j’en suis sûre ; avouez-le, Fanny, ne l’aimez-vous pas ?

Sans répondre directement à cette question, miss Squeers fondit en larmes, et, dans le paroxysme de sa douleur, s’écria qu’elle était malheureuse, négligée, misérable et dédaignée. — Taisez-vous, ou je vous battrai, Mathilde, et j’en serai fâchée ensuite.

Il est inutile de dire que le caractère des deux jeunes filles fut légèrement modifié par le ton de la conversation, et que des personnalités s’ensuivirent. La dispute s’échauffa par degrés, et devenait d’une violence extrême, lorsque les deux rivales se mettant soudain à pleurer, s’écrièrent simultanément qu’elles n’auraient jamais eu l’idée d’être traitées de la sorte. Cette exclamation amena une remontrance qui amena une explication, et, pour le bouquet final, elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre, et se jurèrent une éternelle amitié. C’était la cinquante-deuxième fois de l’année qu’elles répétaient cette attendrissante cérémonie.

La concorde étant ainsi rétablie, miss Fanny proposa à Mathilde de la reconduire chez elle. On était à l’heure de récréation accordée aux élèves après ce que M. Squeers appelait plaisamment leur dîner ; elle était employée par Nicolas à une promenade mélancolique, et il errait dans le village en méditant sur son triste sort. Miss Squeers le savait parfaitement ; mais peut-être l’avait-elle oublié, car lors-