Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
NICOLAS NICKLEBY.

de vous offenser, ni l’idée que vous pussiez vous fâcher. J’en ai éprouvé depuis un vif regret. Voulez-vous me donner la main ? — Très-volontiers, cria le bon paysan, et en même temps il se courba sur sa selle et tordit vigoureusement la main à Nicolas. Mais qu’avez-vous donc à la face, mon homme ? elle a l’air tout en compote. — C’est un coup, dit Nicolas en rougissant, mais je l’ai rendu avec usure. — Bien ! fort bien ! j’aime les braves.

Nicolas ne savait pas trop comment faire l’aveu fatal. — Le fait est, dit-il, que j’ai été maltraité.

— Ah ! repartit John Browdie d’un ton de compassion, car c’était un géant par la taille et par la force, et très-vraisemblablement Nicolas ne lui semblait guère qu’un nain. — Oui, reprit Nicolas, j’ai été insulté par ce coquin de Squeers ; mais je l’ai battu à plate couture, et c’est pourquoi je m’en vais. — Quoi ! s’écria John Browdie avec un rire si désordonné que son cheval en fit un écart, vous avez battu le maître d’école ! Oh ! oh ! vous avez battu le maître d’école ! A-t-on jamais entendu parler d’une chose pareille ? Donnez-moi encore une fois la main, jeune homme ? Vous avez battu le maître d’école ! vous avez mon estime.

Ayant ainsi exprimé son ravissement, John Browdie rit si bruyamment, que les échos des environs en retentirent. En même temps il serrait cordialement la main de Nicolas. Quand sa gaieté se fut calmée, il l’interrogea sur ses projets ; et en apprenant sa résolution d’aller à Londres, il secoua la tête d’un air de doute, et lui demanda s’il savait combien prenaient les voitures pour transporter si loin les voyageurs. — Non, dit Nicolas ; mais c’est peu important pour moi, car j’ai l’intention d’aller à pied. — Jusqu’à Londres ! s’écria John stupéfait. — Certainement, d’ici jusqu’au bout de la route ; mais il ne faut pas que je m’amuse à la bagatelle : ainsi donc, adieu. — Attendez, reprit l’honnête paysan en retenant son coursier impatient ; combien d’argent vous a-t-on donné ? — Pas beaucoup, mais il peut me suffire ; il n’y a rien d’impossible à une volonté ferme, vous le savez.

John Browdie ne répondit pas verbalement à cette observation ; mais portant la main à la poche, il en tira une vieille bourse de cuir, et insista pour que Nicolas lui empruntât ce dont il avait besoin.

— N’ayez pas peur, mon homme ; prenez assez pour faire le voyage, vous me le rendrez un jour.

M. Browdie réitéra ses instances ; mais Nicolas ne put se déterminer à emprunter plus de vingt-quatre francs. Ce fut en vain que le paysan s’efforça de lui faire accepter davantage, en lui représentant que s’il ne dépensait pas tout, il pouvait