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NICOLAS NICKLEBY.

sant de travailler pour gagner sa vie, avant de se trouver en butte à l’insolence et au plus stupide orgueil.

À neuf heures, Catherine, lasse et découragée, alla joindre sa mère au coin de la rue, et s’en retourna d’autant plus triste qu’il lui fallait dissimuler ses sentiments réels et feindre de partager toutes les illusions de sa mère.

— Mon Dieu ! Catherine, dit madame Nickleby, j’ai pensé toute la journée aux avantages qu’aurait madame Mantalini à vous prendre pour associée, ce qui peut arriver, comme vous savez. Mantalini et Nickleby, comme ça sonnerait bien ! et si Nicolas a du bonheur, vous pourrez voir s’établir dans la même rue le docteur Nickleby, chef de l’institution de Westminster.

— Cher Nicolas ! s’écria Catherine en tirant de son sac la dernière lettre envoyée par son frère du château de Dotheboys.

Pauvre Catherine ! elle ne savait pas combien cette consolation était fragile, et avec quelle rapidité elle allait être désabusée !

L’échec qu’elle avait subi le matin eut du moins pour avantage de lui concilier les bonnes grâces de miss Knags, qui avait craint d’abord d’être éclipsée. Dès le lendemain, la bonne miss Knags apprit franchement à Catherine Nickleby qu’elle ne conviendrait jamais, mais qu’elle n’avait pas besoin de s’en inquiéter, parce que, en travaillant elle-même davantage, elle (miss Knags) aurait soin de la tenir toujours sur le second plan, et qu’elle (miss Nickleby) n’avait qu’à rester parfaitement tranquille devant la société, et à éviter de toutes ses forces d’attirer l’attention. Cette dernière recommandation s’accordait si bien avec les sentiments et les désirs de la timide jeune fille, qu’elle s’empressa de promettre de suivre implicitement les avis de l’excellente demoiselle, sans l’interroger ni réfléchir sur les motifs qui les avaient dictés.

— Je vous porte un vif intérêt, ma chère amie, sur ma parole, un intérêt de sœur, absolument, c’est une chose dont je ne saurais me rendre compte, c’est singulier !

Il était sans doute singulier que si miss Knags portait tant d’intérêt à Catherine Nickleby, ce ne fût pas un intérêt de tante ou de grand’mère, car la différence de leurs âges respectifs eût dû naturellement amener cette supposition.

L’amitié de miss Knags en resta à ce haut point durant quatre grands jours, au grand étonnement des ouvrières, qui n’avaient jamais vu de pareille constance ; mais, le cinquième jour, une circonstance imprévue fit descendre subitement le thermomètre de cette ardente affection.

Une visite de hauts chalands fort honorable pour Catherine avait été peu agréable