Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/12

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cevoir immédiatement pour son caractère, on pourrait supposer que c’est lui qui sera le héros du livre que nous présentons au public. Pour éviter tout malentendu à cet égard, nous nous empressons de le détromper une fois pour toutes et de passer vite au récit des faits.

À la mort de son père, Ralph Nickleby, qui avait été placé peu de temps auparavant dans une maison de commerce de Londres, s’appliqua avec ardeur à la poursuite de son rêve, gagner de l’argent. Il s’absorba, il s’ensevelit tout entier dans cette passion, au point d’en oublier presque son frère pendant plusieurs années, et si, parfois, un souvenir de l’ancien compagnon des jeux de son enfance venait illuminer les ténèbres dans lesquelles il passait sa vie, car l’or enveloppe l’avare comme un brouillard confus, plus funeste à tous ses sentiments d’autrefois et plus asphyxiant pour sa sensibilité que les vapeurs du charbon ; ce souvenir se présentait toujours accompagné de cette idée que s’ils renouaient leur intimité, l’autre viendrait lui emprunter de l’argent. Aussi M. Ralph Nickleby se contentait de hausser les épaules en disant qu’il valait mieux que les choses restassent comme elles étaient.

Quant à Nicolas, il vécut célibataire du produit de son patrimoine, jusqu’au jour où, las de son isolement, il prit pour femme la fille d’un gentleman du voisinage, avec une dot de vingt-cinq mille francs. Cette excellente dame lui donna deux enfants, un fils et une fille, et quand le garçon approcha de ses dix-neuf ans, la fille en avait quatorze, du moins à ce que nous pouvons croire, car il était difficile de savoir l’âge précis des dames avant le nouvel acte du parlement, vu que les registres de province n’en contenaient aucune trace. M. Nickleby songea sérieusement au moyen de réparer les tristes brèches faites à sa fortune par l’accroissement de sa famille, et par la nécessité de pourvoir aux frais de leur éducation.

« Faites des spéculations avec votre capital, disait Mme Nickleby.

— Des spéculations, ma chère ? disait M. Nickleby avec hésitation.

— Pourquoi pas ? demandait Mme Nickleby.

— Parce que, ma chère, si nous venions à le perdre,… répliquait M. Nickleby, qui n’avait pas la parole vive et prompte, si nous venions à le perdre, nous n’aurions plus de quoi vivre, ma chère.

— Bah ! disait Mme Nickleby.

— Je n’en suis pas sûr du tout, disait M. Nickleby.