Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/131

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publics (excepté quelquefois les acteurs), et le riant pour des personnes qui n’ont rien d’officiel, les dames et les messieurs, par exemple, qui ne tiennent pas autant à se donner un air capable. »

Catherine paraissait s’amuser beaucoup de ces distinctions savantes, et miss la Creevy continuait de peindre tout en causant avec un air de satisfaction inaltérable.

« Vous avez donc peint un bien grand nombre d’officiers ! dit Catherine, profitant d’un moment où miss la Creevy s’arrêta pour respirer, et jetant les yeux autour de l’atelier.

— Un grand nombre de quoi ? mon enfant, demanda miss la Creevy, levant les yeux de son ouvrage. Ce sont des portraits de fantaisie, voyez-vous. Ce ne sont pas de vrais militaires, vous comprenez.

— Non ?

— Bénédiction du ciel ! comment voudriez-vous, mon enfant ? Ce sont seulement des commis ou autres, qui louent un uniforme pour se faire peindre en militaires, et qui le font porter ici dans une valise. Il y a même des artistes qui tiennent à la disposition de leurs clients un uniforme, à raison de neuf francs cinquante de location, y compris le vermillon ; mais ce n’est pas moi qui ferais cela ; je ne regarde pas cela comme un profit légitime. »

En disant cela, elle se redressa comme une femme heureuse et fière de ne pas s’abaisser jusqu’à ce genre de séduction pour attraper des pratiques ; après quoi, elle ne s’en remit qu’avec plus d’application à son chevalet : seulement, de temps en temps, elle relevait la tête pour regarder avec une satisfaction inexprimable l’effet de quelque coup de pinceau qu’elle venait de donner, ou bien elle s’interrompait un instant pour expliquer à miss Nickleby qu’elle allait passer à quelque détail nouveau du visage.

« Ce n’est pas, lui disait-elle naïvement, pour que vous apprêtiez les traits que je vais peindre, ma chère ; mais, voyez-vous, nous avons l’habitude d’avertir nos sujets des diverses parties du portrait que nous allons faire, afin que, s’il y a quelque expression particulière qu’ils désirent qu’on leur donne, ils puissent nous prévenir à temps, vous comprenez ? »

Ici, un long silence d’une grande minute et demie, après quoi miss la Creevy reprit :

« Quand est-ce que vous comptez revoir votre oncle ?

— Je n’en sais en vérité rien ; j’avais compté le voir plus tôt, répondit Catherine. Cela ne peut pas tarder, j’espère, car il n’y a rien de pis que cet état d’incertitude.