Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/135

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ne devons pas être égoïstes, mais bien considérer au contraire la nature importante de ses occupations dans la Cité.

— Je vous suis bien obligé, madame, dit Ralph avec un ricanement imperceptible. Le défaut d’habitude des affaires dans votre famille explique apparemment tout ce luxe de paroles inutiles avant de rien conclure.

— J’ai peur que vous n’ayez raison, répondit Mme Nickleby avec un soupir. Votre pauvre frère !…

— Mon pauvre frère, madame, reprit Ralph en l’interrompant avec aigreur, n’avait pas idée de ce que c’est qu’une affaire, ou, pour mieux dire, il ne savait même pas ce que cela veut dire.

— J’en ai bien peur, dit Mme Nickleby portant à ses yeux son mouchoir. Je ne sais pas, sans moi, ce qu’il aurait fait. »

Nous sommes, à vrai dire d’étranges créatures. Le misérable appât que Ralph, dès la première entrevue, avait jeté à sa belle-sœur avec tant d’habileté, était encore là pendillant au bout de l’hameçon aux yeux de la pauvre femme. Chaque fois qu’elle se rappelait, dans les vingt-quatre heures de la journée, quelque gêne, quelque privation occasionnée par son changement de fortune, aussitôt la vision douloureuse de ses vingt-cinq mille francs de dot venait assaillir son esprit, si bien qu’elle avait fini par se persuader que, de tous les créanciers de feu son mari, il n’y en avait pas de plus maltraité ni de plus à plaindre qu’elle. Et pourtant, elle l’avait aimé tendrement pendant bien des années, et elle n’était pas plus égoïste que le commun des hommes, tant il est vrai qu’une pauvreté subite rend l’esprit irritable. Qu’on lui eût donné seulement une petite rente, et ses pensées auraient repris sur-le-champ leur train accoutumé.

« Les regrets ne servent de rien, madame, dit Ralph ; de toutes les peines perdues, la plus stérile, c’est d’envoyer une larme courir après un jour qui n’est plus.

— C’est bien vrai, dit Mme Nickleby en sanglotant, c’est bien vrai.

— Puisque vous ressentez si durement, madame, dans votre personne et dans votre bourse, les conséquences de la négligence dans les affaires, dit Ralph, sans doute vous voudrez pénétrer vos enfants de la nécessité d’y faire plus d’attention de bonne heure.

— Comment ne le ferais-je pas ? reprit Mme Nickleby. Une triste expérience, vous le savez, mon beau-frère… Catherine, ma chère, n’oubliez pas de le dire à Nicolas dans votre prochaine lettre, ou de me le rappeler si je lui écris. »

Ralph fit une pause de quelques moments, puis, se sentant