Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/138

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ment ; sa respiration fut précipitée pendant quelques instants, puis elle se mit à marcher d’un pas plus ferme et plus résolu. C’était un contraste curieux à voir, que celui d’une jeune provinciale timide reculant à chaque pas devant la foule qui se pressait dans les rues en tout sens, pour laisser passer les plus pressés et se pendant au bras de Ralph, comme si elle craignait de le perdre dans le flot des passants, et de cet homme d’affaires aux traits durs et sombres, qui allait tout droit son chemin, poussant les autres du coude, échangeant de temps en temps, sur son passage, un salut rapide avec quelques connaissances qui se retournaient pour regarder, avec une expression de singulière surprise, sa jolie compagne, et semblaient ne rien comprendre à cette association si mal assortie. Mais quel contraste bien plus étrange encore pour celui qui aurait pu lire au fond de ces cœurs qui battaient côte à côte, mettre à nu la charmante innocence de l’un, l’odieuse malice de l’autre, planer sur les pensées pures et simples de la jeune fille à l’âme tendre, et reconnaître avec étonnement qu’au milieu des desseins rusés et des calculs intéressés du vieillard dont elle tenait le bras, il était impossible de démêler un mot ou un signe qui révélât la pensée de la mort ou de la tombe ! Et cependant c’était la vérité. Spectacle plus étrange encore, quoiqu’il soit tous les jours sous nos yeux ; le cœur jeune et brûlant palpitait de mille craintes, de mille inquiétudes, tandis que celui du vieux roué corrompu par le monde, pétrifié dans sa cellule, n’avait que les battements réguliers de quelque habile mécanique, sans se laisser déranger dans l’exactitude de ses fonctions par un seul sursaut d’espérance ou de crainte, d’inquiétude ou d’amour pour âme qui vive.

« Mon oncle, dit Catherine, quand elle pensa qu’ils devaient approcher de leur destination, il faut que je vous fasse une question : demeurerai-je chez nous ?

— Chez nous ! répondit Ralph, où est-ce ça ?

— Je veux dire chez ma mère, la pauvre veuve, dit Catherine avec énergie.

— C’est ici qu’à vrai dire vous demeurerez, répliqua Ralph, car c’est ici que vous prendrez vos repas et que vous resterez du matin jusqu’au soir ; peut-être même, par occasion, jusqu’au lendemain matin.

— Mais le soir, mon oncle ? je voulais dire que je ne pouvais pas la laisser seule : il faut bien qu’il me reste un endroit que je puisse appeler un chez nous. Naturellement il sera où elle est, vous sentez ; rien n’empêche qu’il ne soit très-modeste.