Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/162

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figure encore toute humide des traces de ses larmes récentes. Il faisait de vains efforts pour obtenir un résultat qu’un enfant de neuf ans, de moyens ordinaires, n’aurait pas eu de peine à obtenir mieux que lui. Mais lui, avec le trouble et la confusion que la brutalité de son tyran avait jetés dans sa cervelle de dix-neuf ans, tout était pour lui lettres closes, mystère et désespoir. Pourtant il restait assis dans son coin avec patience à répéter sans fin la page indiquée, non qu’il fût stimulé par un sentiment d’ambition enfantine, car il était le plastron et le pâtira, même des êtres grossiers dont il était entouré ; mais il se sentait inspiré par l’unique et vif désir de faire plaisir au seul ami qu’il eût au monde.

Nicolas lui mit la main sur l’épaule.

« Je ne peux pas y réussir, dit la malheureuse créature, levant la tête, avec un amer désappointement peint dans tous les traits de son visage ; non, je ne peux pas.

— Pourquoi l’essayez-vous ? » répliqua Nicolas.

Le pauvre garçon branla la tête, et fermant son livre avec un soupir, porta autour de lui un regard vague et reposa sa tête sur son bras : il pleurait.

« Au nom du ciel, dit Nicolas d’une voix émue, ne pleurez pas, je ne peux pas souffrir de vous voir en cet état.

— Aussi, on me traite plus durement que jamais, dit Smike en sanglotant.

— Je le sais bien, reprit Nicolas, cela est vrai.

— Si ce n’était pas vous, dit la victime de Squeers, je serais déjà mort : on me tuerait, oui, on me tuerait ; je suis sûr qu’on le ferait.

— Vous ne serez pas si maltraité, reprit Nicolas, remuant la tête d’un air triste, quand je serai parti.

— Parti ! cria l’autre, en le regardant attentivement en face.

— Allons, soyez calme. Oui, parti.

— Est-ce que vous partez ? demanda Smike, avec vivacité et à voix basse.

— Je n’en sais rien, répliqua Nicolas : je me parlais à moi-même sans trop songer que vous étiez là.

— Dites-moi, insista Smike d’un ton suppliant : oui, dites-moi, est-ce que vous partirez, dites ?

— J’y serai bien contraint à la fin ; mais bah ! j’ai le monde devant moi, après tout.

— Le monde, demanda Smike, dites-moi : le monde est-il aussi mauvais et aussi triste que cette prison ?

— Dieu merci ! non, répondit Nicolas suivant le cours de