Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/182

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très-distinguée, car elle avait un oncle receveur des taxes de la compagnie de distribution des eaux ; et puis ce n’était pas tout : les deux filles aînées de Mme Kenwigs allaient deux fois la semaine à une classe de danse non loin de là, avec leurs cheveux blond-filasse, ornés de nœuds de ruban bleu, retombant sur leur dos en queues abondantes, et leurs petits pantalons blancs garnis de dentelles à la cheville. Voilà les raisons, sans compter qu’il y en avait bien d’autres trop longues à énumérer, qui faisaient considérer Mme Kenwigs comme une personne dont la connaissance n’était pas à dédaigner, et qui la désignaient naturellement aux caquets continuels de toutes les commères du quartier à plus de vingt pas de chez elle.

C’était le jour anniversaire du jour trois fois heureux où l’église anglicane, en sa qualité de religion de l’État, avait assuré à M. Kenwigs la possession légitime de Mme Kenwigs ; aussi, pour en fêter le souvenir reconnaissant, Mme Kenwigs avait invité un petit nombre d’amis d’élite à venir faire une partie de cartes et à souper au premier. Elle avait même mis une robe neuve pour les recevoir, et cette robe, de couleur éclatante et d’une forme toute moderne, eut un succès si complet, que M. Kenwigs déclara que ses huit ans de mariage et ses cinq enfants lui semblaient un songe, et qu’il trouvait Mme Kenwigs plus jeune, plus fraîche et plus jolie que le premier dimanche qu’il avait passé à lui faire sa cour.

Toute cette beauté de Mme Kenwigs, quand elle était habillée et la noblesse de ses manières, qui aurait même pu faire croire qu’elle avait au moins une cuisinière et une femme de chambre, sans avoir rien à faire chez elle que de donner des ordres, ne l’empêchaient pas de se donner un mal terrible dans son ménage : beaucoup trop assurément pour une constitution si délicate et si distinguée, si elle n’avait pas eu l’orgueil de passer pour une bonne ménagère. Pourtant, dans cette circonstance, elle avait fini par réussir à tout ranger comme il faut ; rien n’y manquait, tout était prêt, et la fortune semblait lui sourire à l’idée que M. le receveur lui-même avait promis de venir.

La société était admirablement composée. Il y avait d’abord M. et Mme Kenwigs avec quatre rejetons des Kenwigs assis à table pour souper. Premièrement, c’était bien juste qu’ils eussent une petite régalade dans un si grand jour ; secondement, ils ne pouvaient pas décemment se coucher là, en présence de la compagnie. Après cela, il y avait une demoiselle qui avait fait la robe de Mme Kenwigs, et qui (c’était la chose du monde la plus commode), demeurant au second sur le derrière, avait