Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/189

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sivement les trois autres petites filles jusqu’aux joues du percepteur de taxes, pour répéter la même cérémonie ; elles n’en furent pas quittes à si bon compte, la majorité de la société se croyant obligée d’en faire autant.

« Chère madame Kenwigs, dit Mlle Petowker, pendant que M. Kenwigs fait le punch que l’on doit boire à votre anniversaire, faites donc danser à Morleena ce pas… vous savez… devant M. Lillyvick.

— Non, non, ma chère, répliqua Mme Kenwigs, cela ne servirait qu’à ennuyer mon oncle.

— Comment pouvez-vous le croire, dit miss Petowker ? N’est-ce pas, monsieur, que cela vous fera au contraire beaucoup de plaisir ?

— Certainement, répondit le percepteur des taxes, lorgnant du coin de l’œil le punch bientôt prêt à boire.

— Eh bien, alors, je vais vous dire une chose, dit Mme Kenwigs : je veux bien que Morleena exécute son pas, mais c’est à la condition que mon oncle obtiendra de miss Petowker qu’elle nous déclame après l’enterrement de la buveuse de sang. »

C’est alors qu’eurent lieu des bravos, des battements de main, des trépignements de pieds, pour faire accueil à cette proposition. Celle qui en était l’objet inclina gentiment la tête à plusieurs reprises pour remercier l’assemblée de ses dispositions bienveillantes. Puis, d’un ton de reproche, elle dit à son amie :

« Vous savez que je n’aime pas à exercer mon art dans les réunions particulières.

— Oh ! à la bonne heure ; mais ici, dit Mme Kenwigs, nous sommes tous si intimes et si sans façon, que vous pourriez vous croire tout à fait chez vous. D’ailleurs l’occasion…

— Je ne puis résister à cette dernière raison, se hâta de répliquer miss Petowker ; je serai charmée de vous faire plaisir dans la mesure de mes faibles moyens. »

Cela se trouvait prévu dans le petit programme des amusements de la soirée que Mme Kenwigs et miss Petowker avaient arrangé ensemble. Il avait même été convenu qu’elles se feraient réciproquement une espèce de petite violence pour faire paraître la chose plus naturelle. La compagnie étant donc toute prête, miss Petowker fredonna l’air dont Morleena dansa la figure. Il est bon de dire qu’on n’avait pas oublié de frotter la semelle de la petite danseuse avec du blanc d’Espagne, tout comme si elle allait sauter à la corde raide. Du reste, le pas fut trouvé magnifique, et en effet, il comprenait force accompagnements de mouvements des bras. Bref, il fut applaudi avec enthousiasme.