Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/205

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croyant faire une grande concession, me paraît avoir une mine heureuse et dont j’espère que le caractère ne démentira pas les bonnes manières.

— C’est vrai, dit Mme Kenwigs, qu’il est tout à fait agréable de figure et de tournure.

— Certainement, ajouta miss Petowker, il a dans tout son air quelque chose de… mon Dieu ! mon Dieu ! voilà que j’ai oublié le mot.

— Quel mot ? demanda M. Lillyvick.

— Ah ! mon Dieu ! faut-il que je sois stupide, répliqua miss Petowker cherchant dans sa tête : comment donc appelez-vous cela, vous savez bien, quand les jeunes lords vont casser la nuit les marteaux des portes, battre le guet, prendre des voitures au compte des gens qui ne s’en doutent pas, et bien autre chose encore.

— Aristocratique ? dit le percepteur.

— C’est cela : aristocratique, continua miss Petowker. Il a quelque chose d’aristocratique, n’est-ce pas ? »

Les messieurs ne dirent mot et se contentèrent de se regarder les uns les autres en souriant. Ils avaient seulement l’air de dire : « Dame ! il ne faut pas disputer des goûts. » Mais quant aux dames, elles décidèrent à l’unanimité que Nicolas avait un air aristocratique, et, comme personne n’eut la fantaisie de lui contester ce titre, il le garda victorieusement.

Cependant le punch était bu et les petites Kenwigs qui, depuis quelque temps, ne pouvaient plus tenir l’œil ouvert qu’en y fourrant leurs doigts, devinrent grognons et demandèrent avec instance à aller au lit. Le percepteur donna le signal de la retraite en tirant sa montre, et en révélant à la compagnie qu’il était près de deux heures du matin. Sur quoi les uns firent des holà de surprise, les autres dirent que c’était affreux de se coucher si tard. Chapeaux d’homme et chapeaux de femme furent tirés à tâtons de dessous les tables et finirent par retrouver leurs propriétaires. Après cela vinrent force poignées de main, force assurances que jamais on n’avait passé une si délicieuse soirée, qu’on ne pouvait croire qu’il fût si tard ; qu’on s’attendait qu’il était tout au plus dix heures et demie ; qu’on voudrait bien que M. et Mme Kenwigs donnassent comme cela une fête d’anniversaire de mariage toutes les semaines ; qu’on ne savait pas les recettes secrètes de Mme Kenwigs pour faire si bien les honneurs de sa maison ; et ainsi de suite. Tous compliments flatteurs que M. et Mme Kenwigs reconnurent en remerciant, à tour de rôle, les messieurs et les dames de leur avoir procuré l’honneur