Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/25

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Cela fait, on lut, in extenso, le projet de pétition proposé. Et la pétition, comme toutes les pétitions, disait que les pétitionnaires étaient très humbles, les pétitionnés très honorables, et que l’objet en était très vertueux. Par conséquent (disait toujours la pétition), il n’y avait plus qu’à convertir tout de suite le bill en une loi, pour l’honneur et la gloire éternels de cette très honorable chambre des communes assemblée en parlement.

Alors le gentleman, qui avait passé toute la nuit précédente à Crokford, et dont les yeux battus n’annonçaient que trop qu’il s’en ressentait encore, s’avança pour dire à ses concitoyens le discours qu’il avait l’intention de faire en faveur de la pétition, toutes les fois qu’elle serait présentée, et tous les sarcasmes dont il comptait poursuivre le parlement s’il rejetait le bill. Il leur confia même le regret que ses honorables amis n’y eussent pas inséré une clause pour rendre l’achat des petits pains et tartelettes de la compagnie obligatoire dans toutes les classes de la société ; quant à lui, qui ne connaissait pas les demi-mesures et qui ne s’arrêtait jamais en chemin, il leur promettait bien d’en faire la proposition, par division, dans le comité. Après avoir annoncé cette détermination, le gentleman devint d’une gaieté folâtre ; et, comme rien n’aide tant au succès d’une plaisanterie que des bottes brevetées, des gants de chevreau jaune-citron et un col de fourrure à son habit, il y eut des rires immenses, un enjouement général, et les dames, de leur côté, firent un si brillant étalage de leurs mouchoirs unanimes, qu’elles mirent tout à fait à l’ombre le gentleman à l’air grave qui les avait tant émues tout à l’heure.

Puis, après la lecture de la pétition, au moment où on allait passer à l’adoption, se présenta le membre irlandais (jeune gentleman d’un tempérament fougueux) ; il fit un de ces discours que les membres irlandais seuls sont capables de faire, où respirent partout l’âme et le souffle divin de la poésie, animé par une déclamation si brûlante qu’on s’échauffait rien qu’à le voir. Il y disait, entre autres choses, qu’il demanderait l’extension de ce magnifique bienfait à son pays natal ; qu’il réclamerait pour elle son égalité devant la loi des petits pains comme devant toutes les autres lois anglaises ; qu’il ne désespérait pas de voir le jour où la tartelette serait aussi savourée dans les humbles cabanes de la verte Érin, et où la sonnette des petits pains éveillerait les échos de ses riches vallées.

Puis, après lui, vint le membre écossais, dont une infinité d’allusions plaisantes au chiffre probable des profits à faire augmenta la bonne humeur provoquée par la poésie de l’autre.