Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/270

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tourné la tête et le regardait par-dessus l’épaule. Les yeux des deux coquins se rencontrèrent avec une expression de mépris réciproque qui semblait dire qu’ils savaient bien qu’ils n’avaient pas besoin de se rien cacher l’un à l’autre. Puis sir Mulberry Hawk haussa les épaules et sortit tranquillement.

Son ami ferma la porte et dirigea ses yeux inquiets du côté où sa nièce était encore immobile, dans l’attitude où il l’avait laissée. Elle s’était laissée tomber de tout son poids sur le canapé, et là, la tête appuyée sur le coussin, la face cachée dans ses deux mains, elle paraissait abîmée dans les larmes, en proie à une agonie de honte et de douleur.

Supposez Ralph entrant en créancier dans la maison de quelque misérable saisi pour dettes, il vous l’aurait, sans sourciller, désigné à l’huissier pour l’exécuter, quand c’eût été un père au lit de mort de son enfant ; ne fallait-il pas traiter les affaires comme des affaires, et l’homme n’était-il pas un débiteur en contravention avec son seul code de morale, l’exactitude des payements ? Mais ici, il avait devant lui une jeune fille qui n’avait commis d’autre crime que de venir au monde, qui s’était prêtée docilement à tous ses désirs, qui s’était résignée à de rudes épreuves pour le satisfaire, et surtout qui ne lui devait pas un sou ; et il se sentait mal à son aise et mécontent.

Ralph prit un fauteuil à quelque distance de sa nièce, puis un autre un peu moins loin, puis il se rapprocha d’elle encore, puis encore plus près ; il finit par s’asseoir sur le même sofa et posa sa main sur sa main.

Catherine retira la sienne et ses sanglots redoublèrent. « Allons ! allons ! dit-il, laissons cela, n’y pensons plus.

— Oh ! de grâce, laissez-moi retourner chez ma mère, s’écria Catherine. Laissez-moi quitter cette maison et retourner chez ma mère.

— Oui, dit Ralph, oui, vous allez y retourner. Mais il faut auparavant sécher vos larmes et vous remettre. Relevons cette tête ; là, là.

— Ô mon oncle, reprit-elle en joignant les mains ; que vous ai-je fait, que vous ai-je donc fait pour me soumettre à cette honte ? Si je savais vous avoir offensé par quelque pensée, quelque mot, quelque action, votre conduite me paraîtrait moins cruelle et pour moi et pour la mémoire d’un homme que vous avez dû aimer au moins dans votre jeunesse, mais…

— Écoutez-moi seulement une minute, reprit Ralph sérieusement alarmé de la violence de ses émotions ; je ne me doutais point de ce qui est arrivé : il m’était impossible de le prévoir.