Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/284

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journalières, que Nicolas finit par rentrer dans sa pauvre chambre, où, ne se sentant plus soutenu par l’excitation fiévreuse qui l’avait jusque-là tenu en haleine, accablé, au contraire, par le sentiment des regrets qu’il allait emporter, il se jeta sur son lit et, se tournant du côté de la muraille, donna un libre cours aux émotions qu’il avait si longtemps comprimées.

Il n’entendit pas même que l’on entrait dans sa chambre, et de se doutait pas de la présence de Smike, lorsque, relevant la tête par hasard, il le vit à l’autre bout, se tenant tout droit, les yeux fixés attentivement sur lui. Il les détourna cependant quand il s’aperçut que Nicolas l’observait, et fit semblant d’être occupé à quelques maigres apprêts pour le dîner.

« Eh bien ! Smike, dit Nicolas aussi gaiement qu’il put, contez-moi les nouvelles connaissances que vous avez faites ce matin, ou les nouvelles merveilles dont vous avez fait la découverte, en faisant le tour des quatre rues.

— Non, dit Smike secouant la tête de l’air le plus triste du monde ; j’ai à vous parler d’autre chose.

— De tout ce que vous voudrez, reprit Nicolas d’un ton de bonne humeur.

— Voici, dit Smike ; je vois que vous êtes malheureux, et que vous vous êtes créé des embarras en m’emmenant avec vous. J’aurais dû le prévoir et vous laisser passer sans vous arrêter là-bas sur la route : je l’eusse fait si j’avais su ce que je sais à présent. Vous… vous n’êtes pas riche ; vous n’avez pas de trop pour vous, je ne dois pas rester ici. Je vous vois, continua-t-il en lui mettant timidement la main dans la main, maigrir tous les jours ; vos joues pâlissent, vos yeux se cernent. Alors je me reproche de vous voir dans cet état, quand je pense que je vous suis à charge. J’ai déjà essayé de vous quitter ce matin, mais le souvenir de votre visage si bienveillant pour moi m’a ramené près de vous pour vous dire du moins un mot avant notre séparation. » Le pauvre garçon n’en put dire davantage, car ses yeux se remplirent de larmes et la voix lui manqua.

« Ce mot qui doit être le signal de notre séparation, dit Nicolas le saisissant cordialement par l’épaule, je ne le dirai jamais ; car vous êtes ma seule consolation, mon seul appui. Je ne voudrais plus maintenant, Smike, renoncer à vous pour tout l’or du monde. Ce n’est qu’en pensant à vous que j’ai pu supporter tout ce que j’ai eu à souffrir aujourd’hui, et que je me sens le courage d’en supporter encore le centuple. Donnez-moi la main ; mon cœur est maintenant enchaîné au vôtre. Nous allons