Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/291

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expression de douloureuse et secrète agonie, se précipita tête baissée hors de la chambre, et, bientôt après, on entendit la porte d’un cabinet de toilette du second étage se fermer avec fracas.

« Mademoiselle Nickleby ! cria Mme Mantalini à ce bruit terrible, dépêchez-vous, au nom du ciel ! il va se détruire. Je lui ai dit des duretés, et il n’aura pas le courage de les supporter. Alfred ! mon mignon ! Alfred ! »

Et voilà Mme Mantalini, escaladant le second avec force exclamations du même genre, suivie de Catherine, qui, sans partager toutes les craintes de l’épouse passionnée, n’était pas cependant sans quelque émotion. On ouvre toute grande la porte du cabinet de toilette, et que voit-on ? grand Dieu ! M. Mantalini, le col de sa chemise rabattu avec symétrie, donnant le fil à un couteau de table sur un cuir à rasoir.

« Ah ! » s’écria M. Mantalini pris à l’improviste.

Et le couteau de table disparut à l’instant dans la poche de la robe de chambre de M. Mantalini, pendant que M. Mantalini roulait des yeux égarés, que ses cheveux épars flottaient en désordre et dérangeaient l’économie de ses favoris.

« Alfred ! cria l’épouse en se jetant à son cou. Non, je ne voulais pas dire ce que j’ai dit ; non, je ne le voulais pas !

— Ruinée ! cria à son tour M. Mantalini. Moi ! j’ai ruiné la meilleure créature, l’ange le plus pur qui ait jamais béni l’existence d’un damné de vagabond ! Nom d’un chien ! laissez-moi faire. »

À ce moment de crise furieuse, M. Mantalini plongea la main à la recherche du couteau de table ; mais, se voyant saisir le bras par les doigts délicats de son épouse, qui le retient, il veut au moins essayer de se briser la tête contre la muraille : heureusement, il a grand soin de s’en tenir au moins à six pieds de distance.

« Calmez-vous, mon cher ange, dit madame. Je sais bien que ce n’est la faute de personne : c’est la mienne autant que la vôtre. Nous nous tirerons encore une fois d’affaire. Venez, Alfred, venez. »

M. Mantalini ne crut pas convenable de venir tout de suite. Il demanda d’abord à plusieurs reprises qu’on lui donnât du poison, ou bien qu’on envoyât chercher quelqu’un, mâle ou femelle, pour lui faire sauter la cervelle. À la longue, cependant, sa sensibilité devint plus tendre, et des larmes pathétiques coulèrent. Une fois dans cette disposition d’esprit à des sentiments plus doux, il n’opposa plus de résistance à ce qu’on le désarmât de