Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/349

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qu’il consigna sur la couverture, le tout accompagné d’une lettre pleine d’expressions de son estime et de l’assurance spontanée qu’il serait heureux de lire avec lui Shakespeare pendant trois heures tous les matins, avant le déjeuner, tout le temps de son séjour à Portsmouth.

« Encore du nouveau, Johnson, dit un matin M. Crummles dans un accès de joie.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Nicolas ; le poney ?

— Non, non, on n’en vient jamais au poney que quand on est à bout de ressources ; et j’espère bien que nous n’aurons pas besoin d’y recourir du tout cette saison. Non, non, il ne s’agit pas du poney.

— Un garçon phénoménal, peut-être ?

— Non, monsieur, répondit Crummles d’un air sérieux, il n’y a qu’un phénomène, et ce n’est pas un garçon, c’est une fille.

— C’est vrai, dit Nicolas ; je vous demande pardon de cette plaisanterie. Mais alors je n’y suis plus du tout.

— Qu’est-ce que vous diriez, s’il nous venait une demoiselle de Londres ? Mlle une telle, du théâtre royal de Drury Lane ?

— Je dirais qu’elle ferait merveille sur l’affiche.

— Vous avez mis le doigt dessus, dit M. Crummles, mais vous pourriez ajouter qu’elle ne fera pas moins d’effet sur la scène, sans craindre de vous tromper. Tenez, regardez-moi cela, et vous m’en direz votre façon de penser. »

En même temps il déploya aux yeux de Nicolas une affiche rouge, une affiche bleue, une affiche jaune, en tête desquelles on voyait en caractères gigantesques l’annonce suivante : « Début de l’incomparable miss Petowker, du théâtre royal de Drury Lane. »

« Tiens ! dit Nicolas, mais je connais cette dame-là.

— En ce cas, vous pouvez vous flatter de connaître le plus beau talent qu’ait jamais possédé une jeune personne, repartit M. Crummles roulant les affiches ; un talent cependant d’un certain genre… d’un certain genre. La goule ou la buveuse de sang, ajouta M. Crummles avec un soupir prophétique, la goule n’aura qu’un temps, elle ne survivra pas à Mlle Petowker. C’est la première sylphide à moi connue que j’aie vue se tenir droite sur une jambe en jouant du tambourin de l’autre genou, une vraie sylphide.

— Et quand l’attendez-vous ? demanda Nicolas.

— Aujourd’hui même. C’est une vieille amie de Mme Crummles. Mme Crummles l’a devinée de bonne heure, il n’y a per-