Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/400

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tère qu’on ne pouvait se flatter de trouver que chez les gens assez heureux pour s’être frottés au grand monde.

Quand la maîtresse inventait des noms si flatteurs pour colorer la tenue de ses nouveaux amis, que vouliez-vous que fît la demoiselle de compagnie ? Quand ils en étaient venus à ne plus s’imposer aucune contrainte devant la dame du logis, comment ne se seraient-ils pas crus plus libre encore avec une fille à ses gages ? Hélas ! il y avait quelque chose de pis encore. À mesure que sir Mulberry Hawk mettait moins de déguisement à faire éclater son attachement pour Catherine, Mme Wititterly devenait de plus en plus jalouse de la supériorité des agréments de Mlle Nickleby. Encore, si ce sentiment l’avait poussée à bannir sa rivale du salon quand elle recevait pareille compagnie, Catherine aurait béni dans son cœur l’heureux effet de ses préventions injustes ; mais, malheureusement pour elle, elle possédait cette grâce naïve et cette distinction franche et aisée dans les manières, enfin ces mille attraits sans nom qui font le charme de la société des femmes, et qui ne pouvaient être plus nécessaires nulle part que dans une maison dont la maîtresse était une vraie poupée vivante. Il en résulta donc que Catherine, doublement mortifiée, devint l’âme du cercle formé par sir Mulberry et ses amis, et se vit exposée, par cela même, à toutes les humeurs et les bourrasques de Mme Wititterly après le départ de ses hôtes. En un mot, elle fut bientôt la plus misérable du monde.

Mme Wititterly n’avait jamais, par égard pour sir Mulberry, affronté une explication franche ; elle se bornait, quand elle était plus aigrie que de coutume, à s’en prendre, comme toutes les dames, à la mauvaise qualité de ses nerfs. Cependant, le jour où elle vit poindre dans son esprit, et se développer, petit à petit, l’affreuse idée que lord Verisopht aussi en tenait pour Catherine, et qu’elle, Mme Wititterly, passait ainsi au numéro deux, personnage secondaire dans sa propre maison, elle devint en proie au sentiment le plus vif et le plus passionné de la plus vertueuse indignation, et crut de son devoir, en sa double qualité de femme mariée et de membre moral de la société, d’en parler sans délai avec la jeune personne.

En conséquence, le lendemain matin, pendant la lecture du roman, Mme Wititterly profita d’une pause pour rompre la glace.

« Mademoiselle Nickleby, dit Mme Wititterly, je désire vous parler très sérieusement. Je suis fâchée d’y être réduite, très-fâchée, je vous assure ; mais votre conduite ne me laisse pas le choix. »