Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/438

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troubler dans ses calculs et l’arracher à l’examen sérieux des chiffres sur lesquels il fixait en vain les yeux. À la fin Ralph posa sa plume, et se renversa dans son fauteuil, comme un homme décidé à s’abandonner au courant qu’il ne pouvait remonter, et à laisser sa réflexion l’entraîner au gré de son caprice, pour voir si ce ne serait pas le moyen d’en être quitte un peu plus tôt.

« Je ne suis pas homme à me laisser émouvoir par un joli minois, murmurait Ralph en lui-même d’un air chagrin. Je sais bien ce qu’il y a dessous, un crâne qui fait la grimace ; et les gens comme moi qui ne s’amusent pas à considérer la surface des choses, aiment mieux voir le fond que la séduisante couverture. Et cependant je me sens presque de l’affection pour cette petite fille, ou du moins je m’en sentirais si son éducation ne l’avait pas faite si fière et si susceptible. Si le garçon était seulement noyé ou pendu et la mère dans la bière, ma maison deviendrait la maison de Catherine. Ma foi ! si cela leur arrivait, je n’en serais pas fâché. »

Malgré la haine mortelle que Ralph se sentait pour son neveu, et le mépris amer qu’il portait aux ridicules de la pauvre Mme Nickleby ; malgré la bassesse de sa conduite passée, présente et future, si besoin était, envers la pauvre Catherine, cependant, chose étrange ! ses pensées en ce moment prenaient un tour moins sauvage, une teinte moins sombre. Il rêvait à ce que serait la maison si Catherine y prenait place. Il la mettait en imagination là, dans ce fauteuil vide, la regardait, l’écoutait, sentait par souvenir sur son bras la pression légère de sa main tremblante ; il jonchait ses riches appartements des mille petits objets qui attestent en silence la présence ou le travail d’une femme. Alors il retombait sur son foyer sans feu, sur la triste splendeur de son salon muet, et cet aperçu rapide d’une vie meilleure, tout en traversant pour arriver à lui ses habitudes d’esprit insensibles et égoïstes, lui faisait sentir pourtant qu’on peut être riche, et cependant pauvre d’amis, pauvre d’enfants et seul au monde. L’or pour un moment perdait à ses yeux tout son lustre, puisqu’il y avait de ces trésors du cœur, les plus précieux de tous, qu’il ne pouvait donner.

Il ne fallait pas grand’chose pour bannir de pareilles réflexions de l’esprit d’un pareil homme. En promenant vaguement ses regards à travers la cour vers la fenêtre de l’autre bureau, il s’aperçut tout à coup qu’il était observé de près par Newman Noggs, qui, le bout de son nez rouge collé contre la vitre, faisait semblant de tailler sa plume avec un reste rouillé de lame