Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/55

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Ayant donc terminé cette entrevue inopinée d’une façon si satisfaisante, Nicolas s’éloigna à la hâte. Il trouva à propos un homme pour lui porter sa malle, et, comme il n’était encore que sept heures, il continua son chemin, sans se presser, devançant de quelques pas le commissionnaire, dont le cœur était peut-être plus à l’aise sous le poids de son fardeau, que le sien sous le poids de la douleur, quoique le costume du lazzarone de Londres parlât tout haut de sa misère, car on voyait bien qu’il avait couché dans une écurie et déjeuné à la pompe du réservoir.

Chemin faisant, il regardait, avec autant de curiosité que d’intérêt, toute l’activité des préparatifs déployée dans chaque rue et jusque dans chaque maison pour le jour qui allait commencer. En songeant que tant de gens de tous les rangs et de tous les états gagnaient leur vie à Londres, il faisait de temps en temps la réflexion qu’il était bien dur qu’il fût réduit à aller si loin pour chercher à gagner la sienne, puis il pressait le pas pour arriver à la Tête-de-Sarrasin, Snow-Hist. Il congédia son porteur, fit déposer en lieu de sûreté sa malle au bureau de la diligence et se mit à chercher M. Squeers dans la salle du café.

Il trouva le savant gentleman assis à table pour déjeuner ; les trois petits garçons avec lesquels il avait déjà fait connaissance, et deux autres qu’un bon vent avait amenés au maître de pension depuis leur entrevue de la veille, étaient rangés à la file sur un banc vis-à-vis. M. Squeers avait devant lui une demi-tasse, une assiettée de rôties toutes chaudes, et une tranche de bœuf froid : mais il était occupé, pour le moment, à faire préparer le déjeuner de sa petite troupe.

« Est-ce qu’il y a pour quatre sols de lait là-dedans, disait M. Squeers au garçon d’auberge, plongeant la vue dans une grande cruche bleue, et la penchant doucement, pour se rendre un compte exact de la quantité de liquide qu’elle contenait.

— Il y en a pour quatre sous, répondit l’autre.

— Il faut que le lait soit un article bien rare à Londres, soupira M. Squeers. Emplissez-moi bien cette cruche avec de l’eau tiède, William, voulez-vous ?

— Tout à fait pleine, monsieur ? demanda William. Ah ! bien, le lait va être noyé.

— Ne vous inquiétez pas de cela, répliqua M. Squeers. Faites ce que je vous dis, le lait est si cher ! Vous avez demandé du gros pain et du beurre pour trois, n’est-ce pas ?

— On l’apporte à l’instant, monsieur.

— Oh ! vous n’avez pas besoin de vous presser, nous avons bien le temps, dit Squeers. Apprenez à vaincre vos passions,