Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/79

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travers les crevasses des murs et éclairait, a giorno, quelques coins des vastes salles et des longs corridors, laissant le reste dans une morne obscurité. J’ai lieu de croire qu’un des ancêtres de M. le baron, se voyant à court d’argent, avait planté sa dague dans les flancs d’un gentleman égaré qui vint un soir lui demander son chemin, et c’est à ce fait qu’on attribuait l’origine de ces particularités miraculeuses. Pour moi, j’ai peine à le croire, parce que l’ancêtre de M. le baron, qui était un aimable homme, fut très fâché, après coup, d’avoir été si prompt, et, prenant de force quantité de pierres et de bois de charpente qui appartenait à un baron voisin moins fort que lui, en construisit une chapelle expiatoire, et, par conséquent, reçut du ciel une quittance en bonne forme pour solde de tout compte.

« À propos de l’ancêtre de M. le baron, cela me rappelle que M. le baron avait une généalogie très respectable. Je suis désolé de ne pas être en mesure d’énumérer tous les ancêtres qu’il avait, mais je sais qu’il en avait beaucoup plus que tous les gentilshommes de son temps, et je regrette seulement qu’il n’eût pas vécu du nôtre, parce qu’il en aurait eu encore davantage. C’est une circonstance très fâcheuse pour les grands hommes des siècles passés, qu’ils soient venus au monde si tôt, parce qu’un individu qui est né il y a trois ou quatre cents ans ne peut pas raisonnablement s’attendre à avoir autant de parents que s’il était né de nos jours. Celui-ci, par exemple, notre contemporain, quel qu’il soit, et ce peut être un savetier ou quelque mauvais chien de l’espèce la plus vulgaire, peut avoir un arbre généalogique plus étendu que le noble le plus noble d’alors, et je regarde cela comme une grande injustice.

« C’est bel et bon, mais revenons au baron de Koëldwethout, de Grogzwig. C’était un beau brun, avec des cheveux bien noirs, et de grandes moustaches. Il allait à la chasse en habit vert pomme, en bottes rousses, un bugle en sautoir comme un conducteur des Messageries royales. Quand il donnait du bugle, vingt-quatre autres gentilshommes d’un rang subalterne, en drap vert pomme un peu moins fin, en bottes rousses à grosses semelles, accouraient à l’instant et galopaient tout le long du chemin, la pique au poing (vous savez, ces piques vernies qui composent les grilles de nos jardins) pour aller chasser le sanglier, ou, par occasion, pour débusquer un ours : dans ce dernier cas, le baron commençait par le tuer, avant de prendre sa graisse pour en lisser ses moustaches.

« Le baron de Grogzwig menait donc joyeuse vie, et ses compagnons la menaient plus joyeuse encore.