Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/126

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prolongea de manière à laisser croire que l’auteur de ce mugissement sans nom devait en avoir la face cramoisie.

« Je sais maintenant, ma chère, dit Mme Nickleby posant sa main sur celle de Catherine ; ne craignez rien, ma petite, ce n’est pas à vous que cela s’adresse, et ce n’est point du tout pour faire peur aux gens ; il faut rendre justice à tout le monde, Catherine, c’est un devoir pour moi. »

Et, en parlant ainsi, Mme Nickleby hocha la tête et caressa bien des fois le dos de la main de sa fille. On voyait qu’elle aurait pu, si elle avait voulu, révéler un secret des plus importants, mais, Dieu merci ! elle savait se retenir, et certainement n’en ferait rien.

« Mais que voulez-vous dire, maman ? demanda Catherine surprise au dernier point.

— Ne vous agitez pas comme cela, ma chère, répliqua Mme Nickleby regardant du côté du mur mitoyen. Vous voyez bien que moi je suis calme, et, certes, s’il était permis à quelqu’un d’être agité, je serais, vu les circonstances, bien excusable de l’être ; mais je ne le suis pas, Catherine, je ne le suis pas du tout.

— Mais, maman, on avait l’air de vouloir attirer notre attention, dit Catherine.

— On voulait, en effet, attirer notre attention, ma chère, ou au moins, continua Mme Nickleby se redressant et caressant la main de sa fille d’une manière plus tendre encore, attirer l’attention de l’une de nous,… hem ! Vous n’avez que faire de vous tourmenter, ma fille. »

Catherine paraissait n’y rien comprendre, et elle allait demander de plus amples explications, lorsqu’on entendit, dans la même direction qu’auparavant, comme le bruit d’une lutte violente, une espèce de cri de guerre sauvage poussé par une voix déjà cassée, accompagnée de trépignements violents sur le sable, et ce vacarme n’était pas encore fini qu’on voyait s’élever dans l’air, avec la rapidité d’une fusée, un gros concombre qui descendit bientôt et vint, par ricochet, rouler aux pieds de Mme Nickleby.

Cet étrange phénomène fut suivi d’un autre exactement pareil ; mais après cela ce fut un beau potiron d’une grosseur monstrueuse qu’on vit tourner dans le vide et venir s’abattre encore dans le jardin ; puis plusieurs concombres partirent ensemble, puis enfin, pour le bouquet, l’air fut obscurci par une grêle d’oignons, de radis et d’autres petits légumes qui couronnèrent en tombant, en roulant, en rebondissant de toutes parts, ce feu d’artifice végétal.