Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/15

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M. Mantalini, placé derrière sa femme, poussa un nouveau gémissement, et, par-dessus le chapeau de Mme Mantalini, fixant en guise de lorgnon un louis d’or à son œil gauche, cligna de l’œil droit à l’ami Ralph, puis, après avoir joué cette comédie avec une dextérité merveilleuse, il fit retomber la pièce d’or dans sa poche et recommença ses gémissements, avec tous les signes d’un repentir toujours croissant.

Mme Mantalini, pour abréger, à la vue des marques d’impatience qui se manifestaient dans la physionomie de Ralph, se hâta d’ajouter :

« J’ai pris la résolution de le pensionner.

— De me quoi, mon amour ? demanda M. Mantalini, qui avait l’air de n’avoir pas bien entendu.

— De lui faire, » dit Mme Mantalini les yeux tournés vers Ralph, car elle se gardait bien, par prudence, de jeter le moindre coup d’œil du côté de son mari, dont les grâces infinies auraient pu ébranler sa résolution, « de lui faire une pension ; et j’espère qu’avec mille écus par an, pour son entretien et ses menus plaisirs, il devra se considérer comme un homme bien heureux. »

M. Mantalini, avec un grand décorum, attendit qu’elle eût énoncé en propres termes le montant de la pension ; mais il n’eut pas plutôt entendu le chiffre, qu’il jeta par terre sa canne et son chapeau, tira de sa poche son mouchoir et laissa sa sensibilité s’épancher en mugissements attendrissants.

« Damnation ! » s’écria-t-il, sautant tout à coup de sa chaise, et retombant aussitôt dans sa chaise, assez souvent pour affecter les nerfs de son épouse épouvantée ; « mais non, c’est un démon d’abominable cauchemar, ce n’est pas une réalité, non. »

Et M. Mantalini, rassuré par cette supposition ingénieuse, ferma les yeux comme un homme décidé à attendre patiemment la fin d’un mauvais rêve.

« Je trouve cet arrangement-là très judicieux, dit Ralph en ricanant, pour peu que votre mari veuille s’y conformer fidèlement, madame, comme il le fera sans doute.

— Nom d’un chien ! s’écria M. Mantalini ouvrant les yeux à la voix de Ralph, c’était une horrible réalité ; oui, je la vois, la voilà assise là devant moi. Voilà les gracieux contours de ses formes charmantes ; comment ne pas les reconnaître ? Il n’y a qu’elle pour avoir de ces charmes-là. Ne me parlez pas des contours de mes deux comtesses, elles n’en avaient pas du tout, et quant à la douairière, les siens étaient diablement vilains. Ah ! c’est bien cette beauté enivrante qui fait que je ne puis me fâcher contre elle, même en ce moment.