Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/160

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Catherine avec une vive émotion, je ne vois plus qu’une différence entre cette maison où nous sommes et celle où nous avons tous passé tant d’heureuses années, c’est que le meilleur, le plus noble cœur qui ait jamais souffert en ce monde, a disparu d’ici pour monter en paix dans les cieux.

— Catherine ! ma chère Catherine ! cria Mme Nickleby.

— J’ai pensé bien des fois, dit Catherine en soupirant, à ses paroles si tendres. Vers la fin, quand il montait se coucher, en passant devant la petite chambre, il y regardait et me disait : « Que la bénédiction de Dieu soit sur vous, ma chère petite, » et sa figure était si pâle, maman ! Oh ! oui, il avait le cœur brisé, c’était de chagrin. À cette époque-là je ne pensais guère à ça, j’étais trop jeune. »

Un flot de larmes vinrent au secours de Catherine et soulagèrent sa peine. Elle posa sa tête sur le sein de sa mère, et pleura comme un petit enfant.

C’est une remarque à faire à l’honneur de notre nature, qu’aussitôt que notre cœur se sent touché et attendri par quelque pensée de bonheur tranquille ou d’affection pure, seul moment où la mémoire des morts lui revient avec le plus de puissance irrésistible, on croirait que nos bonnes pensées, que nos sympathies honnêtes sont des charmes dont la vertu donne à l’âme le pouvoir d’entretenir quelque commerce vague et mystérieux avec les esprits de ceux que nous avons chèrement aimés dans la vie. Hélas ! combien de fois, combien de temps ces anges patients voltigent-ils au-dessus de notre tête, attendant en vain, pour correspondre avec nous, le mot magique qu’il nous serait souvent si facile de prononcer et qui sort si rarement de notre bouche que bientôt même on l’oublie à jamais.

La pauvre Mme Nickleby était trop accoutumée à dire sans réserve tout ce qui lui passait par la tête, pour qu’il lui fût jamais venu dans l’idée que sa fille pût nourrir de semblables pensées en secret, d’autant plus que les plus rudes épreuves et les plus injustes reproches ne lui en avaient jamais arraché la confidence. Mais maintenant que le bonheur dont les faisait jouir tout ce que Nicolas venait de leur dire, ainsi que les habitudes paisibles de leur nouvelle vie, avait rappelé ces souvenirs dans l’âme de Catherine avec tant de force qu’elle n’avait pu les réprimer, Mme Nickleby commença à entrevoir qu’elle pouvait bien avoir été de temps en temps un peu irréfléchie, et elle sentit quelque chose qui ressemblait au remords en embrassant sa fille et en cédant aux émotions qu’une conversation pareille avait naturellement éveillées.