Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/234

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d’argent ; ses moyens ne lui permettaient pas de l’acheter en or ; c’était un souvenir qu’il destinait à M. Crummles. Il y joignit une paire de boucles d’oreilles pour Mme Crummles, un collier pour le phénomène, une épingle flamboyante pour chacun des jeunes fils, puis il fit un petit tour de promenade rafraîchissante, revint au théâtre peu de temps après le rendez-vous, trouva les lumières éteintes, la salle vide, le rideau relevé pour la nuit, et M. Crummles se promenant de long en large sur la scène, en attendant sa venue.

« Timberry ne va pas tarder, dit M. Crummles ; il a été obligé de jouer ce soir jusqu’au bout ; il remplit dans la dernière pièce le rôle d’un nègre fidèle ; c’est ce qui fait qu’il est un peu plus longtemps à se débarbouiller.

— Au fait ! dit Nicolas, il me semble que c’est un rôle assez déplaisant.

— Mais non, je ne trouve pas, répliqua M. Crummles, cela s’en va aisément avec de l’eau ; il n’y a, comme vous savez, que le cou et la figure. Ah ! nous avions autrefois dans notre troupe un premier tragique qui ne jouait jamais Othello sans se faire tout noir des pieds à la tête. Et c’est ce que j’appelle jouer son rôle en conscience et avec le sentiment de la chose ; mais cela ne se voit pas tous les jours, malheureusement. »

En effet, M. Snittle Timberry fit son entrée, bras dessus bras dessous, avec l’avaleur africain. On lui présenta Nicolas, sur quoi, il leva son chapeau un demi-pied de haut, en disant qu’il était très fier de faire sa connaissance. L’avaleur en dit autant, et, tout Africain qu’il était, Nicolas ne put s’empêcher de remarquer que, pour la figure et la prononciation, il ressemblait terriblement à un Irlandais.

« Je vois par l’affiche que vous sortez d’être malade, monsieur, dit Nicolas à M. Timberry ; j’espère que vous ne serez pas fatigué ce soir de manière à vous en trouver plus mal ? »

M. Timberry répondit en hochant la tête d’un air sombre, se frappa la poitrine à plusieurs reprises d’une manière très significative, et, se drapant dans son manteau : … « Mais n’importe, dit-il, n’importe, allons ! »

C’est une chose remarquable que, sur la scène, c’est justement au moment où les personnages sont dans une de ces situations désespérées qui les réduisent à un état complet de faiblesse et d’épuisement qu’ils ne manquent jamais d’exécuter les tours de force qui supposent le plus de présence d’esprit et de vigueur des muscles. Ainsi, voilà un prince ou un chef de brigands blessé ; il a perdu tout son sang ; il en est tellement affaibli