Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/339

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l’état de stupeur où l’avait plongée d’abord, pour son bonheur, la mort de son père, que pour tomber dans une fièvre aiguë et dans une maladie dangereuse. Quand les facultés physiques, toutes délicates qu’elles peuvent être, se trouvent en face d’une crise qui les excite, elles puisent dans l’énergie de l’esprit une vigueur surnaturelle qui les soutient ; mais le courage passe avec le danger, les forces succombent, et alors leur degré de prostration ne peut se mesurer que sur l’étendue des efforts qu’il leur a fallu faire. Aussi le mal de Madeleine, au lieu d’être d’une nature légère et passagère, alla jusqu’à menacer sa raison et sa vie même.

Comment, dès les premiers progrès d’une lente convalescence, après une maladie si grave et si dangereuse, n’aurait-elle pas été touchée des attentions incessantes d’une garde aussi soigneuse, aussi tendre que l’était Catherine ? Cette voix prudente et adoucie, ce pas discret dans la chambre, cette main délicate dans ses soins, ces mille petits services de l’amitié rendus à chaque instant sans trouble et sans bruit, que nous sentons si vivement quand nous sommes malades, quoique nous ne les oubliions que trop vite après, sur qui pouvaient-ils faire une impression plus profonde que sur un jeune cœur qui débordait de tous ces sentiments d’affection vive et pure, le trésor d’une femme ? sur un cœur presque étranger, jusque-là, aux caresses et au dévouement de son propre sexe, à moins qu’il ne l’eût deviné par lui-même ? sur un cœur rendu, par le malheur et la souffrance, plus avide encore d’une sympathie si longtemps inconnue, si longtemps souhaitée vainement ? Ne nous étonnons donc pas que les premières heures qui les unirent valussent des années entières d’épreuve pour leur amitié. Ne nous étonnons pas que chaque heure de convalescence doublât la force de leurs épanchements, lorsque Catherine, émue en racontant le passé à sa malade reconnaissante, un passé de quelques semaines qui paraissait vieux comme un siècle, prodiguait les éloges de son enthousiasme à la conduite de son frère bien-aimé. Faudrait-il même s’étonner que ces éloges trouvassent un écho rapide dans le sein de Madeleine, et qu’en voyant si souvent l’image de Nicolas retracée jusque dans les traits de sa sœur, elle finît par ne plus les séparer dans sa pensée, et qu’elle eût elle-même quelquefois de la peine à démêler au fond de son cœur la différence des sentiments qu’elle éprouvait pour l’un et l’autre, mêlant, à son insu, à sa gratitude pour Nicolas quelque chose de l’affection plus tendre qu’elle avait vouée à Catherine ?

« Ma chère amie, disait Mme Nickleby en entrant dans la