Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/34

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sion, monsieur Smike, lui dit la bonne dame, de dîner chez les Grimble de Grimblehall, un peu au nord du comté ? Non ? — M. Thomas Grimble, un homme très fier : six grandes filles très aimables, et le plus beau père du pays !

— Ma bonne mère, à quoi pensez-vous ? dit Nicolas ; comment pouvez-vous croire que l’infortuné souffre-douleur d’un maître de pension du Yorkshire eût l’occasion de recevoir des cartes d’invitation de toute la noblesse et la bourgeoisie du voisinage ?

— Mais réellement, mon cher, je ne vois pas ce qu’il y aurait là d’extraordinaire ; je sais bien que moi, quand j’étais en pension, j’allais toujours au moins quatre fois par an chez les Hawkins à Taunton-vale, et certes ils sont beaucoup plus riches que les Grimble et alliés à leur maison par mariage. Ainsi, vous voyez bien que ce n’est pas déjà si invraisemblable. »

Après avoir écrasé Nicolas par cette réponse triomphante, voilà qu’il prit tout à coup à Mme Nickleby une attaque subite de défaut de mémoire et une envie irrésistible de substituer au nom de Smike qu’elle avait oublié, celui de M. Slammons. Quand on l’en fit apercevoir, elle s’en excusa sur la ressemblance étonnante des deux noms dans la prononciation, vu qu’ils commençaient tous les deux par un s, et qu’il y avait un m commun dans le mot.

Smike ne fut peut-être pas frappé comme elle de cette ressemblance ; mais il montra tant d’attention, et mit tant de complaisance à écouter Mme Nickleby, qu’ils furent bientôt dans les meilleurs termes, et que, sensible à cette déférence, Mme Nickleby ne tarda pas à manifester la plus haute estime pour son caractère et sa tenue en général.

Le petit cercle de famille continua donc de vivre sur le pied de la plus agréable intimité jusqu’au lundi matin, où Nicolas se retira pour se recueillir un moment, réfléchir sérieusement à l’état de ses affaires, et prendre, s’il lui était possible, un parti qui pût le mettre à même de soutenir ces objets de son affection, dont l’existence dépendait entièrement désormais de son activité et de son succès.

M. Crummles lui revint plus d’une fois à l’esprit, mais, si Catherine était déjà au fait de tous les détails des ses relations avec cet illustre directeur, sa mère ne l’était pas, et il prévoyait de sa part mille objections embarrassantes à ce qu’il choisît le théâtre pour sa carrière. Il avait d’ailleurs d’autres raisons plus graves encore de ne plus songer à reprendre ce genre de vie. Non seulement les profits en étaient médiocres et précaires, sur-